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DERRIÈRE UNE BARRICADE.

touches, et quant au mouchard, il portera des pavés. N’est-ce pas, Monsieur, continua-t-il en me saluant avec politesse, que vous voudrez bien prendre la peine d’aller chercher les quelques pierres qui sont là-bas, au coin de la rue ? »

Je m’exécute de bonne grâce, en songeant, non sans déplaisir, que si les troupes apparaissaient en ce moment, attaquaient la barricade et la prenaient, je pourrais être fusillé avant d’avoir eu le temps de dire : « expliquons-nous. » Mais le spectacle auquel j’assiste m’intéresse malgré moi. Ces dures mégères, coiffées de rouge, se faisant passer rapidement l’une à l’autre les pierres que je leur donne, ces hommes qui amoncellent les pavés, s’interrompant parfois de leur besogne pour avaler une tasse de café que leur présente une petite fille assise à côté d’un fourneau en fer-blanc, les fusils en faisceaux, la barricade qui s’élève avec rapidité, autour de nous la solitude, parfois, à une fenêtre ou à une porte, une tête curieuse qui apparaît et disparaît, et le bruit grandissant de la bataille, et là-dessus, la clarté d’un grand soleil, tout cela a je ne sais quoi de sinistre et d’horriblement captivant. D’ailleurs, en travaillant, on parle et j’écoute. Les Versaillais sont rentrés pendant toute la nuit. La porte de la Muette et la porte Dauphine ont été livrées par le 13me et le 113me bataillon du premier arrondissement. « Ces deux 13 leur porteront malheur, » dit une femme. Vinoy s’est établi au Trocadéro et Douai au point du Jour, ils s’avancent tous les deux. Le Champ-de-Mars a été pris aux fédérés après une lutte de deux heures. Il y a une batterie à l’Arc-de-Triomphe, qui balaye les Champs-Elysées et bombarde