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la matinée du 18 mars.

petite pluie fine. Je suis descendu à la hâte et j’ai interrogé deux traînards.

— Où allez-vous ? ai-je demandé.

— Nous ne savons pas, a répondu l’un.

— Il paraît que nous allons à Montmartre, a dit l’autre.

Ils allaient à Montmartre, en effet. Dès cinq heures du matin, le 88e de ligne a occupé le plateau de la butte et les petites rues avoisinantes. Plus d’un, parmi ces pauvres lignards, connaissaient ces ruelles pour les avoir gravies le dimanche en compagnie de quelque payse aux joues de pomme, en service chez des bourgeois du quartier. On se promenait sur la place Saint-Pierre, on s’arrêtait devant la barraque du tir, admirant l’adresse des uns, raillant la maladresse des autres. Quand on avait deux sous dans la poche, on jetait une grosse boule dans la gueule d’un monstre imaginaire peint sur une planche carrée ; la payse trouvait les macarons excellents. Mais ce matin il n’y avait ni payse ni jeux de macarons sur la place Saint-Pierre. Il a fallu se tenir immobile, l’arme au pied, dans la boue. Ces pauvres diables de lignards ne devaient pas être contents.

Ah ! les canons de la garde nationale, ces maudits canons ! Qu’ils aient beaucoup servi contre les Prussiens, c’est ce que personne ne saurait affirmer. Ils se sont tenus coi pendant le siège ; on n’entendait parler d’eux que le jour où on les payait et le jour où on les baptisait, ils étaient neufs, élégants et jolis, et ne semblaient pas le moins du monde avoir envie de se noircir de poudre. On pouvait du moins espérer qu’ils garderaient toujours leur attitude pacifique, et que, n’ayant