Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/177

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avons saisi ce qu’il avoit de meilleur. Tel qu’il étoit de votre tems, il étoit loin d’être à l’abri des justes reproches des sages & des gens de goût[1], mais aujourd’hui…

Comme il disoit ces mots on leva la toile. La scène étoit à Toulouse. Je vis son capitole, ses capitouls, ses juges, ses bourreaux, son peuple fanatique. La famille de l’infortuné Calas parut & m’arracha des larmes. Ce vieillard paroissoit avec ses cheveux blancs, sa fermeté tranquille, sa douceur héroïque. Je vis le fatal destin marquer sa tête innocente de toutes les apparences du crime. Ce qui m’attendrit, c’étoit la vérité qui respiroit dans ce drame. On s’étoit donné bien de garde de défigurer ce sujet touchant par l’invraisemblance & la monotonie de nos vers rimés. Le poëte avoit suivi la marche de cet événement cruel ; & son ame ne s’étoit attachée qu’à saisir ce que la situation déplorable de chaque victime faisoit naître, ou plutôt il empruntoit leur langage ; car tout l’art consiste à répéter fidellement le cri qui échappe à la nature. À la fin de cette tragédie on me montroit au doigt, & l’on disoit : « voilà le contemporain de ce siécle malheureux. Il a entendu

  1. L’opéra ne peut être que fort dangereux ; mais il n’est point de spectacle plus cher au gouvernement, c’est le seul même auquel il s’intéresse.