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QUATRE CENT QUARANTE.

un mauvais livre. Quand je dis mauvais, je ne parle pas des défauts de stile ou d’esprit : on peut faire un excellent ouvrage avec un gros bon sens[1]. Nous disons seulement qu’il a mis au jour des principes dangereux, opposés à la saine morale, à cette morale universelle qui parle à tous les cœurs. Pour réparation il porte un masque, afin de cacher sa honte jusqu’à ce qu’il l’ait effacée en écrivant des choses plus raisonnées & plus sages.

Chaque jour deux citoyens vertueux vont lui rendre visite, combattre ses opinions erronées avec les armes de la douceur & de l’éloquence, écouter ses objections, y répondre, & l’engager à se rétracter dès qu’il sera convaincu. Alors il sera réhabilité ; il tirera de l’aveu même de sa faute une plus grande gloire : car qu’y a-t-il de plus beau que d’abjurer ses erreurs[2] & d’embrasser une lumiere nouvelle avec une noble sincérité ! — Mais son livre auroit-il été approuvé ? — Quel est l’homme, je vous prie, qui oseroit juger un livre avant le public ? Qui peut deviner l’influence de telle pensée dans telle circonstance ? Cha-

  1. Rien n’est plus vrai, & tel prône d’un curé de campagne est plus solidement utile que tel livre ingénieux rempli de vérités & de sophismes.
  2. Tout est démonstratif dans la théorie ; l’erreur elle-même a sa géométrie.