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LA MUSIQUE DE L’AVENIR


LA MUSIQUE DE L’AVENIR

Cette expression fut, à peine s’en souvient-on aujourd’hui, le « tarte à la crème » des antiwagnériens. À les entendre, on pouvait se croire revenu au temps des magistrats rigoristes qui, à Sparte, tranchaient la huitième ou la neuvième corde d’une lyre coupable d’avoir ajouté un ton ou deux à la gamme des ancêtres : il semblait qu’il ne pût être question de progrès en musique, mais seulement de modèles, de règles et de traditions. Aujourd’hui, par un brusque revirement, qui est bien du caractère français, nous considérons d’abord, dans une œuvre, ce qu’elle apporte de nouveau. Peu nous importe le charme, et même la force ou la suite des pensées ; il nous faut une surprise. Tout auteur qui ne cherche pas l’originalité à tout prix est disqualifié ; tout inventeur de formes ou d’accords qui s’attarde à éprouver ses effets, à tirer parti de ses découvertes, à organiser ses conquêtes, est accusé aussitôt d’indolence ou de lâcheté. La marche en avant est impitoyable : on bouscule tous ceux qui voudraient admirer les beautés de la route. C’est une course au clocher, c’est une débandade, et bientôt une panique : on se sauve, à toutes jambes, du passé ; et plus on le fuit, plus sa poursuite devient rapide. Si nous cessions de courir un instant, nous deviendrions sa proie, et nous croirions perdus. De là une louable émulation, parfois une belle hardiesse, plus souvent un assez puéril défi d’harmonie fortuite ou de déclamation arbitraire. De plus fort en plus fort ! Malgré tout, Quand même, telles sont les devises que pourraient prendre les plus fêtés de nos jeunes auteurs. Le présent ne compte pas pour nous. À vrai dire, il n’a jamais compté. Il y a cette seule différence qu’autrefois nous jugions les œuvres en raison du passé ; nous les apprécions aujourd’hui au nom de l’avenir. Cette manie de comparaison trahit, sans doute, des natures plus capables de raisonner que de sentir. L’Allemagne n’y est pas sujette : il lui suffit d’être émue, elle ne regarde pas trop au choix des moyens, et admet