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ECCE HOMO


de style, l’art le plus varié du style qu’homme eut jamais à sa disposition. Tout style est bon qui communique véritablement un état d’âme, qui ne se méprend pas sur l’allure des signes, sur les gestes. (Toutes les lois de la période correspondent à l’art de l’attitude.) Sur ce point, mon instinct est infaillible.

Le bon style en soi est une pure sottise de l’ « idéalisme » pur, à peu près de même que le « beau en soi », le « bon en soi », la « chose en soi »… En admettant bien entendu qu’il y ait des oreilles qui entendent, des hommes qui soient capables et dignes d’une émotion identique, de ceux à qui l’on ait le droit de se communiquer. Mais Zarathoustra, par exemple, les attend toujours. — Hélas ! il lui faudra les chercher longtemps ! Il faut être digne de l’entendre… Et jusqu’à ce moment il n’y aura personne qui comprenne l’art qui a été gaspillé là. Jamais personne n’a eu à jeter au vent plus de moyens inédits, plus de procédés d’art absolument nouveaux et créés véritablement pour la circonstance. Il restait à démontrer qu’une pareille chose fût possible précisément dans la langue allemande : moi-même je l’aurais nié autrefois le plus catégoriquement. On ignorait avant moi ce que l’on peut faire avec la langue allemande, ce que l’on peut faire avec le langage en général. L’art du grand rythme, du grand style dans la période, pour exprimer le formidable mouvement ascendant et descendant d’une passion sublime et surhumaine, a été découvert par moi. Avec un dithyrambe comme celui qui termine la troisième partie de Zarathoustra et qui s’intitule : « Les Sept Sceaux », j’ai volé à mille lieues au-dessus de ce qui s’est jamais appelé poésie.

5.

Que, dans mes écrits, c’est un psychologue qui parle, un psychologue qui n’a pas son égal, c’est peut-être là la première conviction à laquelle arrive un bon lecteur, un de ces lecteurs comme j’en mérite, qui me lisent comme les bons philologues d’autrefois lisaient leur Horace. Les propositions au sujet desquelles tout le monde est d’accord — pour ne point parier des philosophes de tout le monde, les moralistes et autres têtes creuses et têtes de choux[1] — apparaissent chez

  1. Jeu de mot intraduisible sur Hohltöpfe et Kohlköpfe.