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MERCVRE DE FRANCE — 16-XII-1908


dieu qui ne dit pas un mot, qui ne hasarde pas un regard où ne se trouve une arrière-pensée de séduction, chez qui savoir paraître fait partie de la maîtrise — pour qui ne point paraître ce qu’il est, mais ce qui, pour ceux qui le suivent, est une obligation de plus à se presser toujours plus près de lui et de le suivre plus intimement et plus radicalement... Le génie du cœur qui force à se taire et à écouter tous les êtres bruyants et vaniteux; qui polit les âmes rugueuses et leur donne à savourer un nouveau désir, le désir d’être tranquille, comme un miroir, afin que le ciel profond se reflète en eux... Le génie du coeur qui enseigne à la main, maladroite et trop prompte, comment il faut se modérer et saisir plus délicatement ; qui devine le trésor caché et oublié, la goutte de bonté et de douce spiritualité sous la couche de glace trouble et épaisse, qui est une baguette divinatoire pour toutes les parcelles d’or longtemps enterrées sous un amas de bourbe et de sable... Le génie du cœur, grâce au contact duquel chacun s’en va plus riche, non pas béni et surpris, non pas gratiné et écrasé comme par des biens étrangers, mais plus riche de lui-même, se sentant plus nouveau qu’auparavant, débloqué, pénétré et surpris comme par un vent de dégel, peut-être plus incertain, plus délicat, plus fragile, plus brisé, mais plein d’espérances qui n’ont encore aucun nom, plein de vouloirs et de courants nouveaux, de contre-courants et de mauvais vouloirs nouveaux... »

L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE


1.

Pour être juste à l’égard de l’Origine de la Tragédie (1876), il va falloir oublier certaines choses. Elle a fait de l’effet et même fasciné avec, ce qui y était manqué, avec son application à la Wagnérie, comme si celle-ci était le symptôme de quelque chose qui commence. Par là même cet écrit était un événement dans la vie de Wagner. C’est seulement à partir du moment de son apparition que le nom de Wagner représenta de grands espoirs. Aujourd’hui encore on me rappelle parfois, en plein Parsifal, que c’est de ma faute qu’une si haute opinion, au sujet de la valeur culturelle de ce mouvement, ait prévalu.

J’ai plusieurs fois vu citer l’ouvrage sous le titre de la Renaissance de la Tragédie par l’esprit de la Musique ». On n’a