Page:Mercure de France, t. 77, n° 277, 1er janvier 1909.djvu/186

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MERCVRE DE FRANCE—i-1-1909question que de leur gloire.Pourtant,si l’on retrouve des noms comme
ceux de Mmes Tastu, Ségalas, Salm-Dyck, Genlis, Abrantès, Guî-
zot(sans parler de George Sand),les autres, il faut l’avouer, n'étaient
point parvenus jusqu’à nos oreilles, et c’est incroyable le nombre de
femmes qui auront été des génies sans que nous nous en soyons
doutés.Quand on ne peut vanter leur style,— ce qui arrivait déjà en i84o>—ton loue leurs sentiments, lesquels sont toujours sublimes. D’ail¬
leurs les unes écriventavec leur cœur,—avec leur sensibilité,—avec
leurs larmes ! d’autres avec l'aile d’un ange, et même d’un
archange ! Ainsi explique qu’après tout elles n’écrivent pas toujours
très bien.Et toutes manifestent dès la plus tendre enfance « des aptitudes
extraordinaires ». L’histoire de leur vocation est pour le moins aussi
intéressante que leurs écrits — telle cette Mme de bradi, « dont le
« père, financier par besoin, mais soldat par goût, l’oblige à con-
« tracter dès son enfance l’habitude du travail de tête, tandis que sa
« mère, Suédoise de-Stockholm, l’obligeait au travail des mains ».
De cette éducation par un père financier par besoin et une mère Sué¬
doise de Stockholm, il résulte « des inclinations religieuses qu’on
a vieil ami de la famille entretient soigneusement ». Là-dessus elle
épouse un « gentilhomme de Calvi; se croyant Corse, agit comme si
« elle l’était » et de toutes ces prémisses sort,comme il étaità prévoir,
« une vocation de femme de Lettres ». Mais disons-le bien haut, « ce
« n’est pas une femme de Lettres ordinaire ». Ce n’est pas une
femme de Lettres ordinaire, en ce sens qu’elle est modeste. Elle con¬
vient sans détours que les éditeurs qui publièrent son premier ro¬
man firent faillite — ceux des suivants achetèrent ses manuscrits si1bon marché «que ce serait pitié d'en parler »—que le quatrième de
ses ouvrages ne lui fut pas payé du tout — que le cinquième la fit
passer pour « folle et sotte » — et elle n’en a pas moins continué à
écrire sur « la religion, la philosophie, l'histoire, la politique, la
« littérature et l'éducation, persuadée qu’il ne faut qu’un sens droit
.« et un peu d’instruction pour traiter ces sortes de sujets ». — Pour
tant de franchise, de confiance et de persévérance, plus encore peut*
être que pour son « génie », cette dame assurément méritait de
passer à la postérité.Le milieu où éclosent ces « plantes choisies » préoccupe toujours
le biographe. Ainsi apprenons-nous que ume aragon, autre femme
célèbre, « naquit au sein de la philanthropie » et que, du sein de cette
philanthropie, elle puisa, sans que l’on puisse bien saisir le rapport,
« les matériaux pour des ouvrages de géologie, propres à rendre cette
« science aimable. » Voilà plus qu’il n’en faut pour être célèbre.Pour Mile de meulan, ce n’est pas au sein de la philanthropie, mais