Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/61

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aussi bien, nous venons de le voir, la supposition de l’intervention de la divinité dans les événements de la nature le met en œuvre.

Convient-il de s’étonner que deux concepts aussi différents, aussi antagonistes que la causalité scientifique et la causalité théologique, puissent être désignés par le même terme ? On voit clairement ce qui constitue leur terrain commun : la cause est-ce qui produit, ce qui doit produire l’effet. Dans l’un des deux cas, la conviction du lien qui réunit cause et effet me viendra de ce que j’aurai démontré l’identité fondamentale des deux termes : elle reposera sur un raisonnement ; dans l’autre cas, je la tirerai de mon acte de volition, qui constitue, comme Schopenhauer l’a fait ressortir, l’essence du moi. Le concept de cause est donc réellement double, appartenant en partie au monde de la raison et en partie à celui de la volonté. Il se pourrait même que cette dernière notion fût, au point de vue psychologique, antérieure à la première, c’est-à-dire que l’idée de liaison me vînt primitivement de ce que je sens pouvoir moi-même à mon gré exercer une action, l’identité venant se greffer sur ce concept primitif, devant le besoin de comprendre et l’impossibilité d’attribuer aux choses une volition analogue à la mienne. Quoi qu’il en soit de ce problème de psychologie métaphysique, il est certain que dans la science le second concept — celui de la causalité dérivée de l’identité et que nous avons pour cette raison appelée causalité scientifique — domine seul[1].

Nous avons, tout à l’heure, reconnu que le sauvage, et même l’animal, appliquent le principe de légalité. En est-il de même de celui de causalité ? Il semble difficile de l’affirmer en ce qui concerne l’animal. Le désir de comprendre, l’instinct philosophique, « l’étonnement de son propre être » comme dit Schopenhauer[2], nous semblent un privilège de l’homme ; nous verrons cependant plus tard qu’en un certain sens nous sommes bien forcés d’attribuer aux animaux des déductions causales. Nous ne saurions en tout cas nous représenter une intelligence humaine, quelque fruste que

  1. Nous verrons plus tard, (p. 284) que, dans des limites plus restreintes, la science est également forcée de faire usage d’un concept dérivé directement de celui de causalité théologique.
  2. Schopenhauer. Die Welt als Wille und Vorstellung, éd. Frauenstædt, vol. II, p. 175.