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encore, car l’artisan manuel est certainement incapable de produire une telle uniformité, et ce n’est que depuis l’avènement du machinisme que nous connaissons de ces choses fabriquées en série. L’on sait aussi que, selon la théorie, ces êtres, contrairement aux objets que nous percevons directement, ne se modifient pas dans le temps. « Dieu, dit Newton, au commencement des choses, a formé la matière en particules solides, massives, dures, impénétrables, mobiles… Ces particules primitives, étant des solides, sont incomparablement plus dures que n’importe quels corps composés d’elles ; elles sont même tellement dures qu’elles ne s’usent et ne se brisent jamais. » (cf. I. R., p. 492).

Peut-on douter, néanmoins, qu’en dépit de ces dissimilitudes, l’atome ne soit issu de la matière, et que le concept n’ait donc sa source dans des sensations ? Mais la sensation est essentiellement mouvante, elle va et vient sans désemparer. Et l’atome est, par essence, indestructible, immodifiable, incréable et uniforme. Sa fonction consiste à agir par le choc ; c’est en vue de cette action uniquement qu’il a été imaginé et, dans l’intervalle entre les chocs, il ne se manifeste par rien. Si l’on définit la matière par son action seule, on pourrait donc affirmer que dans l’intervalle entre les chocs, l’atome, strictement parlant, n’existe pas. Or il est évident, tout au contraire, qu’il est conçu comme parfaitement persistant dans ces conditions, puisque constamment préparé à agir.

Voici, enfin, l’objet du sens commun. Ici, l’élaboration à l’aide de la sensation est évidente : l’objet n’est véritablement qu’un groupe de sensations, que nous avons liées de manière plus ou moins opportune et que nous avons ensuite projetées au dehors, dans le non-moi. Mais là encore nous avons ajouté la permanence. J’ai vu la table, j’ai fermé les yeux, et elle a disparu ; je les rouvre et elle reparaît. Si je la suppose existante dans l’intervalle, si je lui prête une existence indépendante de ma sensation, — ainsi que le fait, sans hésitation, le sens commun — disparition et réapparition s’expliqueront sans peine. Et cette fois, après ce que nous avons reconnu concernant les concepts de force et d’atome, il n’est plus permis d’en douter ; c’est parce qu’il est moins variable que la sensation fugitive, que l’objet se substitue avec une telle promptitude à celle-ci que c’est un ensemble de tels objets qui constitue le monde réel de la perception. Et l’on ne peut douter non plus qu’une telle conception ne soit, en son essence même, contradic-