Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à repousser quand on croit les avoir tranchées. C’est ce qui explique que le physicien idéaliste, en entrant au laboratoire, n’a aucun effort à faire pour revenir au sens commun ; tout au contraire, celui-ci s’empare de lui aussitôt que cesse ou même faiblit si peu que ce soit l’effort philosophique idéaliste ou phénoméniste. Et le physicien des quanta, en particulier, ne peut, en observant et quoi qu’il en ait, douter de l’existence d’un réel, tout en se reconnaissant impuissant à indiquer ce qu’est véritablement ce réel qu’il postule, c’est-à-dire de préciser son essence.

Est-il besoin, maintenant, de faire ressortir à quel point une telle attitude est peu faite pour surprendre le philosophe ? L’idée d’un réel nécessairement postulé et cependant essentiellement inconnaissable est évidemment apparentée à celle de la chose-en-soi kantienne, et quelles que soient les objections que l’on ait pu formuler, depuis le grand criticiste, contre ce système du réalisme transcendantal, personne n’osera, certes, affirmer qu’il faille le considérer comme périmé. À ce point de vue donc, encore, le nouveau réel quantique ne comporterait aucune brisure véritable.

L’on oserait même prétendre que si cette manière de voir n’est pas envisagée plus souvent, si même, la plupart du temps, la solution qu’elle comporte se trouve écartée en quelque sorte par prétérition, cela provient d’une confusion pure et simple entre ces deux concepts d’existence et d’essence. On raisonne en effet implicitement comme suit : ce dont on devrait supposer l’existence ici, l’on ne peut indiquer ce que c’est, donc cela n’existe pas. Cela revient évidemment à nier l’existence d’un irrationnel. Le philosophe anglais Burnet (cf. E.S., p. 190) a affirmé que le fait d’accepter l’existence, dans la nature, d’un élément irréductible à l’égard de notre raison équivaut à un suicide de cette raison elle-même. Mais il a aussitôt ajouté que la philosophie moderne a dû, à l’encontre de l’ancienne, se soumettre à cette dure nécessité. C’est qu’en effet, dans la pensée antique, la physique ne pouvait prétendre, à beaucoup près, au rôle qu’elle joue dans la nôtre. L’Ionien pouvait donc, en poursuivant en toute rigueur les exigences impitoyables de la raison, aboutir à cette image de la sphère immobile et uniforme, qui n’est autre chose qu’un acosmisme, l’affirmation qu’aucun phénomène n’existe ni ne saurait exister. Mais il est interdit au moderne de s’aventurer jusqu’à une telle extrémité, car cette affirmation entraîne, au fond, l’abandon de toute phy-