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réel, il fallait s’abstenir d’en stipuler l’existence, et l’attitude la plus logique, dès lors, paraissait consister à supposer que l’on n’avait pas cherché ce réel, que l’on n’avait cherché que des règles d’action, des rapports. Sous cette forme, on aperçoit qu’il s’agit d’une manière de pensée apparentée à celle de Parménide. Mais, nous l’avons dit plus haut, cette attitude envers le réel n’était pas, par le fait, celle du physicien. Elle ne pouvait l’être, pour la raison bien simple que le physicien avait besoin du réel à chaque pas, qu’il ne pouvait absolument pas se passer de supports, puisqu’il n’attachait jamais ses rapports qu’à des supports.

On peut, à un point de vue un peu différent encore, reconnaître que le physicien théoricien du XIXe siècle n’était pas éloigné de penser tout au fond selon le schéma kantien. Dans un court exposé inséré dans la revue Le Mois (1er mai-1e juin 1931, p. 265-267), nous avons comparé les opinions courantes de ces savants à celle de leurs prédécesseurs médiévaux. De même que ceux-ci croyaient connaître l’essence du réel, qui ne pouvait être que conforme aux théories formulées par Aristote, ceux-là s’estimaient assurés que tout devait se ramener à la matière et au mouvement ; pour eux aussi, tout comme pour les tenants de la physique péripatétique, le réel était sans mystère. Cependant, nous avons fait ressortir qu’il n’y avait là qu’une similitude et non une analogie complète, et que le savant moderne, si ferme que fût parfois son matérialisme, était, à cet égard, bien moins dogmatique. Car sa matière, il ne pouvait méconnaître qu’il en devait le concept à une expérience complexe, et que ce concept était par conséquent sujet à être modifié par l’expérience. Dans I. R. (chap. II), en examinant les fondements des théories mécanistes, nous avons noté à quel point l’ensemble des idées que le physicien se faisait de la matière et de son action était contradictoire ; ni les théories corpusculaires, ni les théories dynamiques, ni aucune hypothèse mixte n’aboutissaient à une conception consistante (cf. plus loin, p. 45). Ainsi, en définitive, le physicien se trouvait, en dépit de lui-même, en quelque sorte, poussé vers l’idée d’un réel proprement insaisissable.

L’on pourrait donc prétendre qu’à cet égard les constatations de la physique quantique n’ont rien changé à la philosophie implicitement contenue dans les théories physiques, qu’elles n’en ont fait que plus clairement ressortir les arêtes.

Cela ne serait pas tout à fait juste, et pour le discerner nous