Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/37

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à condition de ne pas perdre de vue que ce rapprochement ne peut être que partiel. L’expérience et le succès dans l’expérience, assurément, guident la pensée dans le choix qu’elle opère en ce qui concerne la voie par laquelle s’effectuera l’identification. Mais celle-ci, qui est le but immuable, n’a pas sa source dans ce qui provient du réel, elle constitue l’apport de la pensée elle-même.

Le chimiste, croyant comprendre, est-il le jouet d’une illusion ? Sans doute, partiellement, puisqu’il est évident qu’il ne pourrait complètement comprendre que par l’identité parfaite, et que l’espoir d’y atteindre — dont son signe d’égalité est le symbole — est manifestement chimérique : c’est le succès qui a créé ce que nous avions qualifié d’illusion causale, illusion qui fait apparaître ce qui sert à l’identification comme étant l’essence, ce qui varie ne pouvant qu’être accidentel, négligeable. Mais ce succès même nous montre que, d’autre part, tout ici n’est point illusion, puisque l’intellect a réussi, par cette voie, à pénétrer le réel. Et voici que la théorie, après s’être détournée du qualitatif, y revient. Par le détour du quantique, elle commence réellement à l’expliquer, à l’expliquer, certes, infiniment mieux que ne savait le faire la chimie purement qualitative. N’est-ce pas la merveille des merveilles, et cette évolution n’achève-t-elle pas de nous persuader que les voies de la raison rationalisante sont décidément imprévisibles ?

En résumé donc, la conception de MM. Bohr et Jordan, si étrange que l’on puisse la juger, ne saurait être repoussée par une sorte de question préalable. On ne parviendra point ainsi, d’accord, à une intellection parfaite de l’acte du vouloir. Mais il se peut, cependant, qu’on arrive à le comprendre un peu mieux que cela n’a lieu actuellement si la conception réussit, c’est-à-dire si elle suggère des expériences que l’expérience confirmerait. Ce jour-là il est pour le moins possible que là encore l’illusion causale se crée, et que le physiologiste et le psychologue de l’avenir — d’un avenir que l’on peut supposer très proche ou fort lointain — croient comprendre à la manière du chimiste lavoisien. Et là encore, ce ne serait pas illusion pure. On n’aurait pas aboli l’irrationnel, mais on l’aurait serré d’un peu plus près, enfermé entre des limites plus étroites. Il est évident que c’est par là, par le trop d’espace, en quelque sorte, qu’elles prétendent embrasser, que pèchent les théories telles que celle de l’entéléchie de M. Driesch,