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la loi sont néanmoins tous individuellement déterminés. Il y a ainsi, au-dessous du réel molaire directement observable, quelque chose de simplement probable, mais résultant cependant d’une détermination foncière. Dans le quantique, tout au contraire, c’est l’indétermination que nous devons considérer comme fondamentale. On pourrait, dit M. Heisenberg « se laisser entraîner à supposer que derrière l’univers statistique perçu se dissimule un autre univers encore, un univers « véritable », où le principe causal serait valable. Mais de telles spéculations nous apparaissent, nous l’affirmons expressément, stériles et dénuées de sens. La physique doit se borner à décrire de manière formelle ce qui est perçu[1] ». Cependant, en ce qui concerne la manière dont l’indétermination, par l’intervention de la probabilité, aboutit à une détermination rigoureuse, la situation est bien, dans les deux cas, analogue ; aucun savant n’hésite à traiter ce qui se rattache au deuxième principe de la thermodynamique comme aussi rigoureusement établi que le reste de la physique.

Peut-on affirmer, du reste, que dans le passé les deux conceptions de science physique (dans le sens moderne de ce terme) et de déterminisme furent toujours étroitement associées ? Il suffira, pour nous convaincre du contraire, de reprendre, sur une base plus large — puisqu’il s’agira, cette fois, non pas de l’image hypothétique seule, mais de l’ensemble du savoir scientifique — l’examen des rapports, dans l’évolution de la pensée, entre le déterminisme et la physique, que nous avions amorcé au début de l’article, à propos de la conception de M. Planck. Dans l’antiquité, nous y avons fait allusion, le déterminisme fut proclamé, avec toute la rigueur voulue, par les stoïciens. Nous avons cité autrefois (E. S., p. 121) un résumé de leurs doctrines dû à Alexandre d’Aphrodisias (qui était leur adversaire) et où l’on voit proclamé que « tous les êtres demeurent soumis à d’éternelles lois qui procèdent par série et enchaînement » et que « dans le monde, rien n’arrive que nécessairement quelque autre chose ne s’ensuive », de telle sorte que « c’est de l’infini à l’infini que se déploie d’une

  1. M. Heisenberg, Ueber den anschaulichen Inhalt der quantentheoretischen Kinematik und Mechanik, Zeitschrift fuer Physik, t. 43, 1927, p. 197. — Il va sans dire qu’ici le « principe causal » (conformément du reste à une nomenclature qui a prévalu chez les physiciens des quanta) désigne ce que nous qualifions de principe de légalité.