Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/47

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de considérer sa théorie comme fournissant une image satisfaisante du réel. Car les constatations de la physique du sous-atomique n’aboutissent qu’à une affirmation d’ignorance — mettons même d’une ignorance définitive : nous ne pouvons dire où se trouve le corpuscule ou, si nous prétendons le savoir, nous ne pouvons dire quel est son mouvement, c’est-à-dire que nous pouvons, d’un côté ou de l’autre, formuler des suppositions diverses et qui, néanmoins, s’accorderont également bien avec les phénomènes. Mais à part le fait qu’il nous serait permis, à la rigueur, de considérer cette incertitude comme provisoire, d’admettre qu’il s’agit d’un ignoramus et non d’un ignorabimus, il est clair que cette situation ne recèle rien qui soit de nature à embarrasser véritablement notre imagination, car nous pouvons parfaitement nous figurer le corpuscule comme ayant un lieu et une vitesse déterminés, tout en demeurant incapables d’énoncer ces déterminations. Alors que l’action transitive de l’atome est réellement et foncièrement inimaginable (p. 23) : l’atome corpusculaire est manifestement incapable d’agir, et l’on ne conçoit pas comment une action pourrait s’exercer sur l’atome dynamique, qui n’est qu’un point, donc un rien physique, une simple abstraction mathématique, l’atome composite, à la fois corpuscule et centre de forces, ajoutant à ces difficultés celle de concevoir un lien entre ces deux éléments si disparates. Ici, il y a donc non pas simplement ignorance, insuffisance, mais véritablement conflit entre les exigences de la raison et ce que la théorie physique lui offre en guise de réponse. Et, à plus forte raison, n’y a-t-il, dans la nouvelle physique, rien qui contredise la conception de Kant.

Nous ajouterons que l’ensemble de l’évolution nous paraît constituer une preuve de plus que le positivisme avait eu tort de dresser en quelque sorte un piédestal à ce concept du légal, étant donné que l’intellect, dans son effort de pénétration du réel, a été amené à s’attaquer à cette notion, à concevoir un réel effectivement soustrait à l’empire du principe.

Nous ne voudrions cependant pas que le lecteur demeure sous l’impression que nous entendons nier la profondeur de l’ébranlement que les assises sur lesquelles repose la pensée du physicien ont éprouvé du fait des constatations quantiques. Car il est parfaitement exact que, dans une certaine mesure, il y a eu non point simplement évolution, mais révolution. L’atomiste de naguère,