Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 17.djvu/400

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range. ’sGravesande descendait par sa grand’mère du célèbre médecin Jean Heurnius ; son aïeul paternel et son père exercèrent à Bois-le-Duc divers emplois municipaux. Il fit ses premières études dans la maison paternelle, et dès lors il annonça les dispositions les plus heureuses, comme la passion la plus vive pour l’étude des sciences mathématiques. À l’âge de seize ans, il fut envoyé à l’Académie de Leyde pour étudier le droit ; mais il continua avec ardeur son étude favorite, et il n’avait pas encore atteint l’âge de dix-neuf ans lorsqu’il publia son Essai sur la perspective, production qui fixa l’attention des géomètres et mérita le suffrage du grand Bernoulli, quoique empreinte de quelques imperfections inévitables de la part d’un jeune auteur, et qu’il s’était proposé de faire disparaître dans une nouvelle édition dont sa mort a privé le public. Reçu docteur en droit à la fin de 1707, il exposa avec beaucoup d’ordre et de clarté les motifs qui condamnent le suicide, dans une dissertation inaugurale De autocheiria. Il vint ensuite à la Haye, s’appliqua d’abord, suivant les intentions de son père, à la pratique du barreau, et se lia avec les hommes de lettres qui se trouvaient réunis dans cette résidence. Au mois de mai 1715, une société de jeunes gens distingués par leurs connaissances entreprit à la Haye la composition du Journal littéraire. qui a paru sous ce titre jusqu’en 1722, chez Johnson, qui a été repris en 1729 jusqu’au 30 juin 1752, chez Gosse et Neaulme, en dix-neuf tomes, et a été continué depuis à Leyde, chez Haake et Luchtmans, sous le titre de Journal de la république des lettres[1]. ’sGravesande fut l’un des collaborateurs les plus zélés de cet ouvrage périodique justement estimé : on y trouve de lui un grand nombre d’extraits d’ouvrages de mathématiques et de physique, et en particulier, De la géométrie de l’infini. par Fontenelle, qui ne fut pas entièrement satisfait. de l’impartialité du rédacteur. Il y inséra aussi plusieurs dissertations originales sur divers sujets, tels que la Construction des machines pneumatiques, qui lui doit plusieurs perfectionnements ; la Théorie des forces vives et du choc des corps en mouvement, d’après les principes de Leibnitz, théorie qui donna lieu à une longue et importante controverse dont nous parlerons tout à l’heure ; le Mouvement de la terre, le Mensonge. la Liberté : la dernière de ces dissertations renferme le germe du système que notre philosophe développa dans la suite. En 1715, ’sGravesande accompagne à Londres, en qualité de secrétaire d’ambassade, les députés des états généraux chargés de complimenter George Ier sur son avènement au tronc ; il s’y lia avec Burnet, le célèbre évêque de Salisbury, dont les fils étaient ses amis, et fut reçu à la société royale de Londres. Revenu à la Haye l’année suivante, il fut nommé en 1717 professeur ordinaire de mathématiques et d’astronomie à l’Académie de Leyde. Dans la harangue qu’il prononça à cette occasion, intitulée De matheseos in omuibus scientiis, prœcipue in physicis usu ; necnon de astronomiœ perfectione ex physica haurienda, il démontra les avantages de la méthode introduite par Galilée et Newton, les secours que le jugement reçoit de l’étude de la géométrie, et l’alliance qui unit l’astronomie à la physique : il cherchait à justifier l’extension qu’il se proposait de donner à son enseignement, en embrassant aussi la physique, jusqu’alors abandonnée à l’ancienne routine. Pendant les vacances de 1721 et 1722, ’s Gravesande lit deux voyages à Cassel auprès du landgrave de Hesse, prince qui montrait un goût éclairé pour la physique expérimentale, et qui encourageait généreusement ses progrès. Le landgrave l’avait appelé pour avoir son avis sur la célèbre roue d’Orfireus (voy. Orfireuss), et ’sGravesande ayant avancé, à cette occasion, que le mouvement perpétuel ne lui paraissait pas impossible, publia, pour soutenir son opinion, ses Remarques sur cette question[2]. En 1724, en quittant le rectorat de l’Académie, il prononça une harangue De evidentia (réimprimée en tête de la 3e édition de ses éléments de physique) ; il y attribue la prééminence à l’évidence mathématique, qui seule lui paraît être par elle-même le critérium du vrai : il examine quelles sont les sciences qui en sont susceptibles, et cherche la sanction de l’évidence morale dans la volonté de Dieu, qui nous a fait une loi de croire au témoignage des sens, à celui des autres hommes et à l’analogie. En 1750 il joignit momentanément à son enseignement ordinaire celui de l’architecture civile et militaire, en hollandais : en 1754 il fut aussi chargé de l’enseignement de la philosophie, et embrassa dans son cours la logique, la métaphysique et la morale. Il s’était marié en 1720, et de ce mariage avait eu deux fils qu’il perdit à huit jours d’intervalle, l’un âgé de treize ans, l’autre de quatorze : la douleur qu’il ressentit d’une perte aussi cruelle, quoique supportée avec la résignation d’une philosophie chrétienne, le conduisit bientôt lui-même au tombeau, et il expira le 28 février 1742, à l’âge de 55 ans, après une longue maladie pendant laquelle il conserva toute la vivacité de son esprit. ’sGravesande était singulièrement exercé à la méditation ; son esprit y portait une telle énergie et une telle suite, que ses ouvrages étaient en entier composés et tracés dans sa tête avant qu’il les eût mis par écrit, même sur de simples notes ; sa mort nous en a ainsi fait perdre plusieurs qu’il avait préparés. Pendant son séjour en Angleterre, sa chambre était le rendez-vous des gentilshommes attachés aux ambassa-

  1. Cette continuation a cessé en 1733, et se compose de 3 volumes.
  2. Ces Remarques ne furent imprimées, dans le temps, qu’à un petit nombre d’exemplaires distribués à des amis ; mais on les trouve réimprimées dans le Dictionnaire historique de Prosper Marchand, t. 2, p. 226.