Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
ANT

vint au secours de d’Antraigues, pour montrer combien il était digne de la confiance qu’il avait plutôt conquise qu’obtenu. Il s’empara promptement des secrets qu’on ne lui avait confiés qu’à demi, et des négociations qu’on redoutait de livrer a son caractère entreprenant. Si les agents qu’il employait manquaient ou d’adresse ou d’esprit, il y suppléait en leur fournissant lui-même les renseignements qu’il lui convenait de communiquer ou les lettres qu’il lui était utile de se faire adresser. En 1795, son nom eut quelque retentissement en France par la découverte de la conspiration Lemaitre (voy. ce nom), ou l’on vit qu’il avait fait quelques efforts pour gagner à la cause du roi plusieurs révolutionnaires, entre autres Cambacérès, qui repoussa avec beaucoup de force une telle imputation. Comme tous les hommes sans conviction et sans probité qui ont changé d’opinion politique, il poussait alors jusqu’à l’extrême son exagération contre-révolutionnaire. « Lorsque nous rentrerons en France, disait-il, il faut que quatre cent mille têtes tombent sous la hache des bourreaux. Point de grâce pour tous ceux qui ont pris part à la révolution ; il ne faut conserver d’elle que la guillotine. Je serai, s’il le faut, le Marat de la royauté ! » Dans les diverses communications qu’il eut avec les agents de la cause royale, dans les révélations qu’il obtint des uns, les secrets qu’il surprit aux autres, il fut impossible qu’il ignorait les liaisons de Pichegru avec le parti des Bourbons ; et de ces diverses découvertes, ainsi que des choses que sa sagacité lui fit deviner ou que son génie inventif suppose, fut composée la fameuse déclaration connue sous le titre de : Ma Conversation avec le comte de Montgaillard. Il avait trouvé moyen, en se faisant nommer conseiller de légation russe, de se mettre a couvert des poursuites et des intrigues auxquelles tout Français émigré, agent autorisé ou volontaire des Bourbons, se trouvait exposé dans les pays où le gouvernement n’osait pas ouvertement protéger leur cause. C’était en cette qualité qu’il avait quitté Venise pour se rendre à Vienne, sans autre sauvegarde que son nom et son portefeuille. Il ne manqua pas d’être remarque, et, comme il devait bien s’y attendre, d’être arrête et conduit devant le général en chef de l’armée française. C’était à une époque ou Bonaparte voyait avec une inquiétude jalouse la popularité dont Pichegru jouissait en France, et présageait le rôle que la voix publique l’appelait à remplir. Dans de telles circonstances, rien n’était plus heureux pour lui, plus à propos, rien de mieux combiné, de mieux préparé que l’arrestation d’un homme appelé, par le rôle qu’il avait joué, à connaître beaucoup de secrets, entraîné par sa curiosité à en deviner un plus grand nombre, et capable, par sa fertile imagination, de leur donner à tous un vernis local utile aux vues de ceux qui les publiaient. L’astucieux général profita de toutes ces circonstances en homme prudent et habile, et, par des moyens qu’il est plus facile de deviner que d’expliquer, il obtint cet écrit également dirigé contre les princes français, dont il ridiculisait la cause et calomniait les entours, et contre Pichegru, dont il présentait les rapports et les engagements avec les royalistes sous le point de vue le plus convenable aux projets d’un rival ambitieux et aux intentions hostiles du directoire. Parmi une foule de réflexions, qui n’étaient que le préambule de tout ce que d’Antraigues a dit plus tard du parti qu’il avait abandonné et des princes qu’il avait reniés, parmi plusieurs faits dont il avait surpris la connaissance au moyen de ses fonctions ou de ses intrigues ; parmi plusieurs suppositions dont le but est évident, on doit remarquer que Bonaparte manquait de moyens pour perdre celui dont il s’était fait le rival ; le directoire n’avait pas de prétexte : la déclaration de d’Antraigues suppléa à tout, et le 18 fructidor fut résolu. Le parti royaliste fut renversé, et celui de la révolution triompha de nouveau. Sans doute qu’il dut ce triomphe, en grande partie, aux révélations de d’Antraigues et a celles que Montgaillard fit, dans le même temps, aux agents du directoire. (Voy. Montgaillard.) On n’a pas oublié tout ce qui fut dit alors de la découverte d’une conspiration royaliste dans le portefeuille de d’Antraigues ; on se rappelle aussi que personne ne crut à la violence que Bonaparte prétendait avoir employée pour s’emparer de ce portefeuille, et aux précautions qu’il assurait avoir prises pour empêcher l’évasion du comte. Quoi qu’il en soit, depuis cette époque, Louis XVIII et les chefs du parti royaliste s’abstinrent de donner des preuves de confiance à d’Antraigues, ce qui n’empêcha pas les cabinets étrangers de l’employer dans des circonstances très-importantes. Il se rendit alors en Allemagne, résida quelque temps à Vienne, et y vécut des récompenses ou des bienfaits de plusieurs souverains. Plus tard il retourna en Russie, obtint le titre de conseiller de l’empereur, qui lui donna une mission pour Dresde, où il publia, en 1806, un écrit violent contre Bonaparte, sous le titre de Fragment de Polybe. Le puissant empereur demanda impérieusement son renvoi de cette ville et de toute la Saxe. La cour de Dresde céda, et d’Antraigues retourna en Russie, où il trouva la source d’une haute fortune dans la connaissance qu’il se procura des articles secrets du traité de Tilsitt. Muni de cette riche confidence, il se rendit à Londres et en fit part au ministère anglais, qui, en échange d’un tel présent, lui assura une pension très-considérable. On prétend qu’alors d’Antraigues eut la plus grande influence dans les délibérations du gouvernement anglais, en tout ce qui pouvait concerner les affaires de France, au point que Canning ne faisait jamais rien sans le consulter. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il passait alors en Angleterre pour un homme des plus habiles en politique. Néanmoins, il vécut éloigné d’Hartwel, ou Louis XVIII tenait sa cour. Ce prince ne pouvait oublier les funestes révélations de Milan, et tant d’intrigues, tant de démarches qui en avaient été la suite. Le comte eut alors de fréquents rapports avec Dumouriez, dont l’existence avait des rapports si frappants avec la sienne. On prétend qu’avant les événements qui replacèrent le chef de la maison de Bourbon