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peuple se retira sur le mont sacré, il fut le seul sénateur qui s’opposât à ce que on entrât en négociation avec ceux qu’il appelait des rebelles. Ce fut encore Appius qui fit sentir, dans un discours véhément, que le procès de Coriolan était une insulte au sénat. Un tel homme ne pouvait pas adopter le projet de la loi agraire : aussi, quand Sp. Cassius (voy. Cassius) fit cette proposition, qui devint pour Rome la source de tant de discordes, Appius déclara qu’il fallait, à la vérité, s’approprier une partie des terres conquises, mais les vendre, et en déposer le produit dans le trésor public. Le sénat se servit ensuite du nom d’Appius comme d’un épouvantail. Trompé plusieurs fois dans son attente, le peuple refusait de s’enrôler pour combattre les Véiens : les patriciens répandirent le bruit qu’Appius allait être nommé dictateur, et la seule crainte de voir un homme si sévère investi du pouvoir suprême fit prendre les armes à la multitude. Appius donna au sénat un conseil très-utile, et qui fut suivi plus tard dans les circonstances difficiles : ce fut celui de s’assurer toujours de quelques tribuns du peuple, afin qu’ils s’opposassent à ce que leurs collègues proposeraient de désagréable aux patriciens. Depuis cette époque, l’histoire ne parle plus d’Appius, qui sembla léguer a ses descendants sa fierté et sa haine contre le peuple. D-t.


APPIUS CLAUDIUS, fils du précédent, se montra, s’il se peut, encore plus inflexible et plus ennemi des plébéiens que son père. L’an 283 de Rome (474 avant J.-C.), les patriciens le firent nommer consul, quoiqu’il ne se fût pas trouvé aux comices. Le tribun du peuple Voléron avait proposé une loi portant qu’à l’avenir les tribuns seraient élus par tribus, et non par curies ; Appius s’y opposa fortement, et mit en usage un moyen auquel le sénat avait eu souvent recours, celui d’occuper par une guerre étrangère l’inquiète activité de la multitude. Après de violents débats, la loi de Voléron fut adoptée, et les deux consuls entrèrent en campagne. Capitolinus, aimé de ses soldats, remporta plusieurs avantages sur les Èques. (Voy. Capitolinus.) Les troupes d’Appius, au contraire, qui l’appelaient le tyran de l’armée, conspirèrent, non contre sa personne, mais contre sa gloire, et se laissèrent battre par les Volsques. Appius, irrité, cita toute l’armée à son tribunal. Les magistrats du peuple obtinrent de lui qu’il ne donnât aucune suite à cet étrange emploi de son autorité ; mais il trouva bientôt une autre occasion d’exercer sa vengeance. Son arrière-garde avant été mise en fuite, il fit décimer les soldats, trancher la tête, aux chefs qui avaient quitté leurs rangs, et battre de verges jusqu’à la mort ceux qui avaient perdu leurs enseignes. Il s’opposa, l’année suivante, avec tant de chaleur au partage des terres conquises, qu’il détermina le sénat à rejeter cette proposition. Les tribuns, voulant se délivrer d’un si redoutable adversaire, l’accusèrent devant le peuple d’être ennemi de la liberté publique ; Appius se présenta fièrement à l’assemblée ; et, loin de s’abaisser aux excuses et aux prières, il se défendit avec tant d’énergie, que le peuple n’osa pas le condamner. Les tribuns, frappés de stupeur prirent le parti de remettre le jugement à un autre jour ; mais Appius ne vécut pas jusqu’à cette époque. Selon quelques auteurs, il mourut de maladie ; selon d’autres, dont l’opinion parait vraisemblable, il prévit qu’il serait condamné, et se donna la mort. Les plébéiens, qui l’avaient tant haï pendant sa vie, n’insultèrent point a sa mémoire, et ce fut en vain que leurs tribuns tentèrent de lui faire refuser les honneurs funèbres. Les consuls permirent à son fils de prononcer son éloge public, et le peuple l’écouta avec recueillement. D-t.


APPIUS Claudius Crassinus, le décemvir, fut nommé consul l’an 305 de Rome (451 avant J.-C.), et peu de temps après, au grand étonnement du sénat, il appuya la proposition de la loi Terentia, qui devait changer la forme du gouvernement, bien persuadé qu’il aurait plus de pouvoir sous un nouveau titre. Il fut effectivement nommé décemvir, et eut pour collègues Génucius, le second consul, les trois sénateurs qui avaient été envoyés en Grèce pour transcrire les lois de Solon, et d’autres personnages consulaires. Les commencements de cette magistrature extraordinaire furent assez doux. Appius se montra même plus populaire qu’aucun de ses collègues. Quand les dix tables de lois furent dressées, et que les pouvoirs des décemvirs furent expirés, ils firent procéder à de nouvelles nominations, sous prétexte de dresser encore deux tables, et Appius mit tout en usage pour être réélu. Malgré l’orgueil naturel à la famille Claudia, il eut recours aux bassesses auprès de la multitude. Les patriciens le choisirent pour présider l’assemblée, dans l’espoir qu’il aurait assez de pudeur pour ne pas se proposer lui-même ; mais il trompa leurs conjectures, fut réélu, et fit choisir ses amis pour remplir les neuf autres places, à l’exclusion de plusieurs candidats distingués, et entre autres de C. Claudius, son oncle. On nomma d’abord six autres patriciens, à qui leur attachement aux intérêts d’Appius tint lieu de mérite. Enfin, pour porter au comble le fol enthousiasme du peuple, Appius proposa et fit encore élire trois plébéiens. Alors il jeta le masque, et ne songea plus qu’à perpétuer son autorité. Ses collègues entrèrent facilement dans ses projets. Chacun d’eux se fit précéder de douze licteurs, et accompagner d’une foule de jeunes patriciens qui recevaient d’eux, comme un don, les biens des condamnés, et qui préféraient, dit Tite-Live, la licence pour eux-mêmes à la liberté publique. Un grand nombre de patriciens, obligés de fuir des tyrans dont les jugements étaient sans appel, se retirèrent à la campagne et dans les villes voisines. Les décemvirs publièrent, aux ides de mars, les deux tables de lois qui devaient compléter le nombre de douze, et le peuple fut content de ces lois si chèrement achetées, à l’exception de la dernière, qui défendait aux patriciens de s’allier, par des mariages, aux familles plébéiennes. Les décemvirs attachaient une grande importance à ce qu’il n’existât pas de rapprochement entre les deux ordres. L’instant où leur puissance devait cesser étant arrive, ils la prorogèrent de leur propre autorité. Montesquieu a caractérisé en peu de mots cette époque funeste : « On vit manifestement, dit-il, pendant le peu de temps