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manesque, mais un véritable poëme épique : « Je ferai un roman, répondit-il (selon Camille Pellegrini, dans son Dialogue sur la poésie épique), mais je m’élèverai si haut, par mon sujet et par mon style, que j’ôterai il tout autre poëte l’espérance de me surpasser et même de m’égaler dans un un poéme du même genre que le mien. » Cet auteur italien a peut-être mis dans la bouche de l’Arioste son propre jugement ; peut-être aussi ce grand poëte, quoique doux et habituellement modeste, sentait-il cependant sa force, et ne craignait-il pas de parler ainsi dans un épanchement d’amitié. Ce qui est certain, c’est qu’il tint parole. Aucun poëte en effet ne l’a égalé dans ce genre d’épopée, où l’imagination a bien une autre carrière à fournir que dans l’épopée purement héroïque. Aucun n’a mêlé avec autant d’adresse le sérieux et le plaisant, le gracieux et le terrible, le sublime et le familier. Aucun n’a mené de front un aussi grand nombre de personnages et d’actions diverses, qui tous concourent au même tout. Aucun n’a été plus poëte dans son style, plus varié dans ses tableaux, plus riche dans ses descriptions, plus fidèle dans la peinture des caractères et des mœurs, plus vrai, plus animé, plus vivant. Pour lui préférer, pour lui comparer même un autre poète épique italien, qui dispute ou partage avec lui le premier rang, qu’aucun autre poëte moderne ne peut ni leur disputer ni partager avec eux, il faut commencer par établir la supériorité du genre qu’a choisi le Tasse, sur celui que l’Arioste a préféré. Presque partout où l’on peut les comparer dans des sujets parallèles, ou semblables, il est rare que l’Homère de Ferrare n’ait pas l’avantage sur son rival. Les deux éditions les plus rares de ce poëme sont : la première de Ferrare, 1516, in-4o, où il n’est qu’en 40 chants, et la seconde, donnée aussi à Ferrare, par l’auteur, en 1532, in-4o, où il est en 46 chants, et tel qu’il est toujours resté depuis. Cette dernière est cependant si incorrecte, que l’on assure que le chagrin qu’on eut l’Arioste contribua à lui donner la maladie dont il mourut. On distingue encore, parmi les éditions rares, celle des Alde, Venise, 1545, in-4o, où sont les 5 chants détachés qui font suite au poëme ; plusieurs des éditions de Valgrisi, à Venise, dont la première est de 1556 ; plusieurs de celles de Gabriel Giolito, aussi à Venise, dont la première est de 1549, et la dernière de 1560 ; mais plus encore celle de Franceschi, Venise, 1584, in-fol., avec les arguments de Scipion Ammirato, les notes et les avertissements de Ruscelli, la Vie de l’Arioste, écrite par J.-B. Pigna, et par le Garofalo, plusieurs autres pièces importantes et curieuses, et surtout les belles gravures de Girolamo Porro. Les exemplaires en sont très-chers, principalement ceux où la planche 34 ne manque pas. Dans le plus grand nombre des exemplaires, au lieu de la gravure du 34e chant, qui doit représenter la descente d’Astolphe aux enfers, et son ascension dans la lune, où il trouve St. Jean, et où il reprend la fiole du bon sens de son cousin Roland, et celle qui contenait le sien même, on a répété la gravure du chant précédent, qui représente Bradamante et une société nombreuse, regardant, aux flambeaux, les guerres futures d’Italie, peintes sur les murs de la grande salle d’un château. On ignore la cause de cette particularité ; mais il est bon que les amateurs en soient instruits. Celle des éditions plus modernes qui a eu longtemps l’avantage sur toutes les autres est celle qui fut donnée en 1772, avec les caractères de Baskerville, en 4 vol. grand in-8o ; mais les plus belles éditions de luxe sont aujourd’hui celles de Bodoni à Parme, et de Mussi à Milan. Le Roland furieux, traduit en vers dans presque toutes les langues, l’a été quatre fois en prose dans la nôtre, pendant le siècle dernier. La traduction de J.-B. Mirabaud est tronquée, altérée, et très-imparfaite ; celle de Tressan, ouvrage de sa vieillesse, est d’un style précieux, et souvent emphatique, qui est tout l’opposé de celui de l’Arioste, et qu’on ne pardonnerait pas à un jeune homme ; celle de d’Ussieux est faible et sans couleur ; celle qu’ont donnée Panckoucke et Framery est simple, souvent élégante, et presque toujours fidèle : elle est fort utile pour l’étude et l’intelligence du texte. Enfin M. V. Philipon de la Madelaine publie en ce moment (1843) une nouvelle traduction de Roland furieux. en un vol. grand in-8o magnifiquement illustré. Outre ce poëme, qui est son premier titre de gloire, on a de l’Arioste : 1° sept satires, où la malice est sans amertume, et qui tiennent plus de l’urbanité d’Horace que de l’âcreté de Juvénal ; elles Ont de plus le mérite d’offrir un grand nombre de faits utiles pour l’histoire de sa vie, et qui ne sont même pu inutiles pour celle de son temps. 2° Cinq comédies, la Cassaria, i Suppositi, la meilleure des siennes, il Negromante, la Lena et la Scolastica ; il commença cette dernière pour le mariage de madame Renée, fille du roi Louis XII, avec Hercule, fils du duc Alphonse ; mais il n’en fit que trois actes et trois scènes ; le reste fut fait, après sa mort, par son r’ére Gabriel. Son fils Virginio la mit tout entière en prose, et la reste ensuite en vers ; aussi n’est elle pas regardée comme un ouvrage de l’Arioste, et les académiciens de la Crusca ne la citent pas. La versification de ses quatre autres comédies est élégante et facile ; mais il y emploie, du commencement à la fin, le vers sdrucciolo, glissant, qu’on devrait plutôt appeler sautillant, et qui se termine toujours par un dactyle ; cela produit une uniformité fatigante à la lecture, et qui doit l’être encore plus au théâtre. 3° Ses rime, ou poésies diverses, consistant en élégies, odes ou canzoni, sonnets, madrigaux, etc. 4° Ses poésies latines, en deux livrè, imprimées d’abord en 1553, à Venise, avec celles de Pigna et de Célio Calcgnini, et réimprimées ensuite dans presque toutes les éditions de ses œuvres. 5° Un petit écrit en prose intitulé Erbolato, où il introduit un certain Antonio de Faenza, qui parle de la noblesse de l’homme et de l’art de la médecine, imprimé à Venise, par Niccolini, en 1545, in-8o, avec le portrait de l’Arioste gravé en bois, réimprimé ensuite plusieurs fois dans ses œuvres. Ces divers ouvrages ont sans doute différents degrés de mérite ; mais on reconnaît dans tous la même clarté d’idées, la même facilité de style, et, selon les sujets, ce don de plaire