Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
ANN

d’y établir après elle son frère, connu depuis sous le nom de Jacques III, ou du chevalier de St-George. Inflexible dans ses principes, Jacques II répondit « qu’il savait subir l’injustice, mais non l’autoriser ; que c’était à lui qu’appartenait la couronne, et, après lui, au prince de Galles son fils. » Jacques II mourut (19 septembre 1101) ; Guillaume III le suivit de près dans le tombeau (19 mars 1702) ; Anne fut proclamée reine, et gouverna, sous l’empire de la comtesse et du comte de Marlborough, qui associèrent successivement à leur pouvoir leurs deux gendres, lord Godolphin, avec le titre de grand trésorier, et, avec celui de secrétaire d’État, lord Sunderland, fils de ce ministre de Jacques II, qui avait tramé la perte de son maître, qui, depuis, avait conjuré contre le roi Guillaume, et qui, à la honte de la politique, avait été surnommé le grand politique. Tous les partis semblèrent rivaliser a qui accueillerait le plus cordialement leur nouvelle souveraine. Les torys se plaisaient à contempler le sceptre dans les mains d’une fille de Jacques II, et, un peu plus tôt ou un peu plus tard, voyaient déjà l’ancienne dynastie rappelée dans sa ligne masculine. Les whigs, quoique promptement menacés de voir leurs rivaux partager, pour le moins, les places du ministère, ne pouvaient qu’applaudir à l’imitatrice de Guillaume III, qui jurait, en montant sur le trône, de rester fidèle aux plans de son prédécesseur, d’adhérer plus fortement que jamais à la triple alliance, de défendre les libertés de l’Europe contre l’ambition de Louis XIV ; enfin, de ne pas souffrir dans la même maison l’union des deux couronnes de France et d’Espagne. Le même jour (4 mai 1702), l’Angleterre, la Hollande et l’empereur d’Allemagne déclarèrent la guerre à la France. Le prince Eugène commande les troupes de Léopold ; Marlborough, généralissime des Anglais, le fut aussi des alliés, et l’on vit s’engager cette fameuse lutte connue sous le nom de guerre de la succession, où il s’agissait, pour ainsi dire, du partage de toute l’Europe et de ses colonies. Dans les premières campagnes, les succès furent balancés. Les Français perdirent plus de places, et triomphèrent plus souvent en bataille rangée ; mais, les années qui suivirent, les victoires et les conquêtes prodigieuses, tantôt du comte, devenu duc de Marlborough, tantôt du prince Eugène, et souvent de tous deux réunis, les journées de Hochstet, de Ramillies, d’Oudenarde, de Malplaquet, rejetèrent d’abord les troupes françaises, du Danube, par delà le Rhin, puis envoyèrent la terreur jusque sur les bords de la Seine, remplirent la France de deuil comme de crainte, et répandirent sur les armées britanniques un éclat qu’elles n’avaient point eu depuis les jours d’Édouard III et du prince Noir. Ce fut, au moins pour l’Angleterre, un éclat stérile. Les alliés abusèrent de leur fortune, et elle leur échappe. En Espagne, les succès éphémères du comte de Pétersborough et de l’archiduc Charles disparurent sous les désastres qui accablèrent lord Gallwai. Berwick, Vendôme, Noailles, le duc d’Orléans, maintinrent sur son nouveau trône le petit-fils de Louis XIV. La conquête de Lille ne valut pas plus de gloire au prince Eugène, que sa défense au maréchal de Boufflers, et la terrible bataille de Malplaquet honora autant la valeur des vaincus que le talent des vainqueurs. Circonstance bizarre, et qui caractérise les temps de révolution : Jacques III, dans cette bataille, charges douze fois, à la tête de la cavalerie française, l’armée de sa sœur Anne, conduite par Marlborough, créature de leur père commun, et qui, selon ses intérêts, son ambition, ses déplaisirs du moment, tour à tour bannissait, rappelait, repoussait les Stuarts. Vint la journée où le maréchal de Villars releva la France à Denain (24 juillet 1712). Louis XIV, dont les offres pacifiques, dont les pénibles sacrifices avaient été rejetés avec insolence à Gertruidemberg, força le congrès d’Utrecht à signer les conditions honorables qu’il était déterminé à obtenir, et put encore humilier ses ennemis, qu’il avait su diviser. Enfin, ce grand duc de Marlborough, après avoir enivré d’orgueil sa nation, qui le lui avait abondamment rendu, après s’être vu, pendant huit années, l’idole de la reine, du parlement, du peuple d’Angleterre, fut accusé d’avoir sacrifié le repos, les trésors et le sang des peuples à son ambition et à son avarice ; d’avoir fait de la guerre et de ses emplois un barbare et honteux trafic. La nation le maudit, la chambre des communes le dénonça, la reine le dépouilla de tous ses emplois, même avant la fin de la guerre ; et, suivi de sa femme hautaine, qui, après avoir contribué à sa disgrâce, fut au moins fidèle à son malheur, il alla, pendant les dernières années de ce règne, ensevelir dans l’exil une vie signalée par de grands talents et d’aussi grands vices. La conquête vraiment importante et immensément utile que fit alors l’Angleterre, ce fut celle de Gibraltar, emporté par une valeur surnaturelle, pour être à jamais retenu par une politique habile ; et cependant, lorsqu’il fut proposé dans la chambre des communes de remercier sir George Rooke et le prince de Hesse, auxquels on devait cette espèce de prodige, le parti whig, qui dominait encore, fit décider que l’objet n’en valait pas la peine ; tandis que les honneurs, les hommages et les dons de toute espèce pleuvaient sur le duc de Marlborough. Au dedans, le grand acte politique du gouvernement de la reine Anne fut l’union de l’Angleterre et de l’Écosse en un seul royaume, appelé désormais la Grande-Bretagne. Chaque pays conserva ses lois religieuses et civiles, son église, ses tribunaux : l’existence politique et les intérêts commerciaux furent confondus, et il n’y eut plus qu’un seul parlement britannique, où l’Écosse fut représentée pm seize de ses lords et quarante-cinq députés de ses communes, tous librement élus par leurs pairs. Ce projet, ardemment désiré et vainement tenté par Jacques Ier, Charles II, Guillaume III, fut un grand et incontestable bienfait du parti whig. Ce fut aussi une victoire difficile remportée sur les préjugés nationaux de l’un et de l’autre peuple, et sur l’opposition exaltée du parti tory, dont l’esprit commençait à gagner la majorité des deux nations. Un des plus puissants motifs de cette opposition était l’intérêt jacobite, dont il est piquant de suivre la marche,