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combattre ses propre concitoyens, dont un grand nombre demandait la paix à tout prix, et surtout le chef d’une tribu puissante, Ségeste, dont il avait enlevé la fille promise à un autre prince. Ségeste, attaqué par le parti national, dont Arminius était l’âme, appela Germanicus ; les Romains, accourus a sa prière, le délivrèrent d’une espèce de siége, et., parmi les prisonniers qui tombèrent entre leurs mains, ils comptèrent avec orgueil la femme d’Arminius[1]. Elle se présenta devant Germanicus avec un maintien et des sentiments dignes de son époux ; sa douleur, dit Tacite, était muette ; elle ne laissa échapper ni larmes ni prières. Ce grand peintre ajoute qu’elle tenait ses mains serrées, et que ses regards étaient fixés sur le sein qui portait le fils du libérateur de la Germanie[2]. La trahison de Ségeste et le sort de Thousnelda enflammèrent le patriotisme d’Arminius, et donnèrent une nouvelle énergie à sa voix. Son oncle Inguiomar, guerrier d’un grand et ancien renom dans l’armée romaine, lui prêta tout son appui. Germanicus sentit la nécessité de prévenir l’attaque, et engagea une lutte[3] dont les résultats, quelque brillants que fussent les succès partiels de la valeur et de la discipline romaines, ne firent qu’accroître la confiance et cimenter la ligue de ses ennemis. Il faut en voir les détails dans Tacite ; il n’échappera pas au lecteur attentif combien, en conservant un cœur entièrement romain, sa grande âme rend justice à la cause et au caractère d’Arminius ; il prend plaisir à donner aux discours qu’il met dans sa bouche toute l’énergie et toute la chaleur de ce Chérusque ; il semble même qu’il écrive avec un pressentiment sombre, avec le présage que la barrière élevée contre les envahissements de Rome par le génie d’Arminius, s’ouvrant un jour, versera la honte et la destruction sur sa patrie dégénérée. Il fait clairement entendre que, sans la fougue d’Inguiomar, qui négligea les conseils d’un héros non moins prudent que brave, Arminius aurait fait éprouver le sort de Varus aux légions de Cécina. L’année suivante, Germanicus fit de nouveaux efforts ; ses préparatifs furent prodigieux, et son plan aussi sagement conçu que vigoureusement exécuté ; mais cette expédition, qui est sa quatrième en Germanie, quoique illustrée par la défaite d’Arminius dans les champs d’Idistavisus, sur les bords du Weser[4], n’amena aucun résultat décisif, puisqu’elle finit par la retraite des Romains et par la défaite navale la plus désastreuse. C’est au commencement de cette campagne et peu avant la bataille d’Idistavisus qu’Arminius demanda une entrevue avec son frère Flavus, élevé en Italie comme lui et resté dévoué aux intérêts de Rome : elle eut lieu sur le Weser, et se fit d’une rive à l’autre, dans la langue des Romains. Arminius tenta inutilement de rattacher son frère à la cause nationale, en traitant les décorations militaires dont il était orné de vil salaire de sa bassesse et de gages d’une servitude honteuse. Le fleuve seul les empêcha de fondre l’un sur l’autre. Flavus fut emmené par les siens. La jalousie de Tibère contre Germanicus vint encore seconder les efforts des confédérés ; mais, tranquilles au dehors, ils tournèrent bientôt leurs armes contre eux-mêmes. Maroboduus, roi des Suèves et fondateur de la monarchie des Marcomans, voulut étendre ses conquêtes au delà de la Saale et de l’Elbe ; il avait été élevé à Rome comme Arminius et en avait rapporté des principes entièrement opposés à ceux du chef des Chérusques ; mais il trouva dans Arminius un aussi redoutable ennemi de ses projets d’asservissement, que les Romains l’avaient éprouvé défenseur ardent de l’indépendance de son pays. Malgré la défection d’Inguiomar qui, dédaignant de servir sous les ordres de son neveu, se joignit à Maroboduus, Arminius sortit vainqueur de cette guerre civile, et eut la gloire de sauver ses compatriotes de l’oppression qui les menaçait dans l’intérieur, après les avoir affranchis du joug de l’étranger. L’action qui décida la querelle fut longue et sanglante ; les Germaine ne se battaient plus en corps détachés et sans s’assujettir à aucun ordre ; Arminius les avait accoutumés a la discipline romaine et leur avait fait faire des progrès rapides dans toutes les parties de l’art militaire. Les dispositions des combattants furent dignes de l’école où leurs chefs s’étaient formés, et le succès longtemps indécis. Mais le roi des Marcomans ayant le premier retiré ses troupes du champ de bataille, l’opinion le déclara vaincu ; il perdit par désertion la plus grande partie de son armée, fut obligé de rentrer avec précipitation dans le centre de ses États, en Bohème, et finit par se réfugier en Italie, où il vécut dans le mépris. Quand on considère toutes les preuves de dévouement à la cause de la liberté qu’Arminius avait données, il est bien difficile de croire qu’il ait pu former le projet d’asservir les hommes libres de la Germanie. Cependant Tacite l’affirme, et son autorité doit prévaloir sur des considérations purement morales. Tacite nous apprend, qu’aspirant a la royauté, il s’attira la haine de ses compatriotes et périt à l’âge de 37 ans[5], victime d’un complot de ses proches. Peu de temps avant sa mort, Adgandestes on Adgandestrius, prince des Cattes, avait écrit au sénat pour offrir d’empoisonner Arminius. Mais le sénat avait refusé de faire commettre ce crime. Arminius n’avait que vingt-six ans quand il extermina les légions de Varus. Deux ans avant sa mort, il remporta sa victoire sur Maro-

  1. Strabon nous a conservé son nom, peut-être défiguré. Les meilleures éditions l’écrivent Thousuelda. Adeluug (liv. 1er, p. 537) croit que c’est la contraction ou l’altération de Theodelinda. Quand Strabon rédigeait l’article de sa géographie qui traite de la Germanie, le fils dont elle était accouchée à Ravenne, lien de sa captivité, avait trois ans ; il le nomme Thoumeclicus.
  2. Compressis intra sinum manibus, gravidum uterum intuens. (Ibid.)
  3. C’est sa troisième campagne ; elle coïncide avec l’an 16 de notre ère. Tac., Ann., liv. Ier, ch. 60-72.
  4. Entre Miuden et Hameln, suivant le prince évêque de Paderborn (Voy. Monum. Paderb., p. 71.) ; selon Gatterer, un peu au-dessus de Nienbourg. Mannert cherche le local de la seconde défaite entre Lockum et le lac de Steinhude, dans le pays dHanovre (t. 3, p. 113).
  5. L’an 772 de Rome. 19 de J.-C. (Tac., Ann., liv. 2, c. 33). Selon quelques chronologistes, la mort d’Arminius doit être placée sous l’an 20 ou 21 de J.-C. Nous suivons l’exact et savannt Catter.