Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
ARN

succès contre l’opulence des prêtres, au milieu d’un peuple et d’un clergé pauvres ; il était sur le point d’entraîner dans son parti le légat du pape, lorsque les épîtres de St. Bernard vinrent affaiblir l’autorité de ses discours, et troubler sa retraite. Il fut bientôt persécuté en Suisse comme il l’avait été en Italie ; mais sa doctrine faisait des progrès rapides, et menaçait le souverain pontife jusque sur la chaire de St. Pierre. Innocent II venait de mourir ; son faible successeur, Lucius, n’avait pu étouffer l’esprit de sédition qui s’était emparé du peuple de Rome ; Eugène III, plus faible encore, vit éclater la révolte sans pouvoir l’arrêter. Ce fut alors qu’Arnaud conçut le projet hardi de se rendre à Rome, et de porter l’étendard de la réforme ecclésiastique et de la liberté civile dans la capitale du monde chrétien. Il avait peut-être été appelé, dit Gibbon, par les nobles et par le peuple. Il déclama avec violence contre le luxe et les vices du clergé : mêlant dans ses discours les passages de Tite-Live et de St. Paul, les maximes de l’Évangile et celles de la politique, il rappela aux Romains la grandeur de l’ancienne Rome et la simplicité de la primitive Église, réveillant ainsi toutes les passions. Il réussit à faire chasser le pape de Rome, et resta le chef du peuple, que sa doctrine avait entraîné dans la révolte. Son règne dura dix ans, et ne fut qu’une longue sédition, dans laquelle on pilla les palais, on démolit les maisons, on se partagea les dépouilles des vaincus, en invoquant tour à tour le nom des apôtres et celui des Caton, des Paul-Émile et des Fabius. St. Bernard déclame vivement, dans ses lettres, contre les Romains entraînés par Arnaud de Brescia, et l’histoire est forcée d’avouer que ce qu’il en dit n’est point exagéré. Cependant les choses commencèrent à changer à l’avènement d’Adrien IV, et la démocratie fondée par Arnaud trouva son écueil dans ses excès. Un cardinal, blessé ou tué dans la rue, commença a dépopulariser le parti des séditieux. Le pape profita de cette occasion pour jeter un interdit sur le peuple de Rome ; depuis Noël jusqu’à Pâques, la ville fut privée du culte religieux. Le peuple, qui avait fait trembler le souverain temporel, trembla à son tour devant le chef spirituel de l’Église. Les Romains expièrent leur révolte par le repentir, et n’hésitèrent point à acheter leur grâce et leur absolution par l’exil du prédicateur qu’ils avaient longtemps révéré comme un législateur et comme un prophète. Amand se retira à Ottricoli en Toscane, où il fut accueilli par le peuple et même par les grands, qui étaient opposés au souverain pontife ; sa doctrine avait trop de partisans pour que, dans sa retraite, il ne donnait pas au pape de vives inquiétudes. Le couronnement de Frédéric Barberousse vint offrir à Adrien une occasion de se défaire du plus dangereux de ses ennemis ; le pape exposa à l’Empereur les funestes conséquences de la doctrine d’Arnaud de Brescia ; Frédéric se laissa d’autant plus facilement persuader, qu’il avait lui-même quelque chose à obtenir du souverain pontife ; il fit enlever Arnaud, qui fut traîné à Rome, condamné par le préfet, et brûlé vif en 1155, sous les yeux du peuple, qui applaudit à sa mort et ne tarda pas à le regretter. Les cendres du martyr de la liberté furent jetées dans le Tibre, pour qu’il ne restât rien de lui qui pût réveiller l’enthousiasme de ses partisans ; mais sa doctrine vivait encore dans l’esprit de la multitude, et souleva plusieurs fois dans la suite les Romains contre les chefs de l’Église. Arnaud de Brescia, comme tous les novateurs, avait un esprit inquiet et une imagination ardente ; son caractère ne connaissait point d’obstacles ; son éloquence était vive et entraînante ; apôtre fanatique de la pauvreté, il n’est pas inutile de remarquer, pour le temps où nous sommes, qu’il méprisait de bonne foi les richesses ; partisan de la réforme ecclésiastique, il était irréprochable dans ses mœurs : il n’en fit pas moins beaucoup de mal, et fut entraîné sans doute beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait voulu. Ses contemporains lui reprochèrent plusieurs hérésies sur la Trinité et sur quelques autres points de notre croyance ; mais on ne se souvient plus que de son hérésie politique, qui a trouvé de nos jours de chauds partisans. M-d.


ARNAUD, de Villeneuve, médecin de la fin du 15e siècle. On n’est pas d’accord sur l’époque et sur le lieu de sa naissance : les uns croient qu’il naquit à Villeneuve, petit village voisin de Montpellier ; d’autres hésitent, parce qu’il y a aussi en Catalogne, en Languedoc, en Provence, des bourgs de ce nom. Quoi qu’il en soit, Arnaud eut beaucoup de réputation comme médecin, théologien et alchimiste. Ce n’est plus guère que sous ce dernier rapport qu’il peut être de quelque intérêt pour nous ; c’est en effet par lui et par Raimond Lulle, son disciple, que la chimie commença a faire des découvertes. Il découvrit les trois acides sulfurique, muriatique et nitrique ; il composa le premier de l’alcool, et s’aperçut même que cet alcool pouvait retenir quelques-uns des principes odorants et sapides des végétaux qui y macèrent, d’où sont venues les diverses eaux spiritueuses employées en médecine et pour la cosmétique. On lui doit aussi les premiers essais réguliers de distillation ; il fit connaître l’essence de térébenthine ; il composa les premiers ratafias. Mais il fut conduit sur le chemin de ces diverses découvertes en se proposant de faire de l’or, et il assurait même en avoir le secret. Arnaud est moins remarquable comme médecin ; cependant il est un des premiers docteurs de Montpellier qui se soient montrés moins serviles imitateurs des Arabes, dont la doctrine dominait alors tout le monde savant. Il connaissait plusieurs langues, surtout le grec, l’hébreu et l’arabe. Il voyagea en Espagne, et séjourna longtemps ensuite à Paris et à Montpellier ; il parait même assez prouvé qu’il fut quelque temps régent de la faculté de cette dernière ville. Malheureusement il associa à ses connaissances médicales proprement dites des rêveries sur l’astrologie : c’était la folie de son siècle ; il prédit la fin du monde, qu’il annonça devoir arriver en 1335. Le propositions qui lui attirèrent la censure ecclésiastique se réduisaient à celle-ci : « Les œuvres de charité et les services que rend à l’humanité un bon et sage médecin sont préférables à tout ce que les prêtres appellent œuvres pies, aux prières, et même au saint sacrifice de la messe. » Poursuivi comme