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ANN

fougueuse de Sempronius pour l’attirer au combat, dresse une embuscade prés de la Trébie, tourne l’armée romaine, et la taille en pièces. Les Romains perdirent leur camp et 26,000 hommes. Vainqueur de deux armées, Annibal, arrêté par la rigueur de la saison, prit ses quartiers d’hiver chez les Gaulois cisalpins, qui devinrent ses alliés. À l’ouverture de la campagne, il vit deux nouvelles armées lui fermer les débouchés des Apennins. Voulant combattre séparément les deux consuls, et écraser Flaminius avant l’arrivée de son collègue, il jette les Romains dans l’incertitude par plusieurs marches contradictoires ; pénètre au revers des Apennins, et traverse, sur plusieurs colonnes, les marais de Clusium. Pendant quatre jours et autant de nuits, l’armée carthaginoise marcha dans l’eau. Son chef, monté sur le seul éléphant qui lui restât, ne sortit lui-même qu’avec peine de ce terrain fangeux, et perdit un œil, à la suite d’une fluxion que cette marche pénible lui fit négliger. Une fois maître de la campagne, il n’oublia rien de ce que la guerre fournit d’adresse et de ruse pour forcer Flaminius à recevoir la bataille. Il met tout à feu et a sang, feint de marcher vers Rome, ayant Cortone et les montagnes voisines a sa gauche, et à droite le lac de Trasiméne ; tout à coup il s’embusque dans un étroit défilé, fermé au fond par des rochers difficile d’accès. L’imprudent Flaminius s’engage à sa poursuite, ans nulle précaution ; et il est aussitôt assailli. Là, près du Trasiméne, se livre cette bataille sanglante, où la ruse et les talents réunis triomphèrent de la valeur des Romains. Ceux-ci, attaqués de front, en queue, en flanc, et ayant le lac à leur gauche, furent taillés en pièces, sans avoir pu se déployer. Ils laissèrent sur la place 45,000 morts, parmi lesquels se trouvait le consul lui-même ; un grand nombre de soldats se noyèrent dans le lac, en voulant se sauver à la nage, et 15,000 prisonniers complétèrent cette victoire éclatante. Embarrassé de tant de captifs, et dirigé d’ailleurs par une politique profonde, Annibal ne garda que les Romains, et renvoya les Latins sans rançon. Il se contenta de ravager l’Ombrie, le Picénum, et vint ensuite refaire son armée dans les plaines fertiles d’Adria, d’où il expédia un vaisseau à Carthage pour annoncer ses victoires au sénat. Riche des dépouilles de l’ennemi vaincu, il arma ses soldats a la manière des Romains, et pénétra ensuite en Apulie, portant de tous côtés l’épouvante. Rome consternée avait confié son salut au dictateur Fabius Maximus, qui entreprit d’épuiser la vigueur de l’armée carthaginoise en temporisant. Annibal saccage en vain l’Apulie, le pays des Marses, les frontières de la Pouille, les terres des Samnites ; en vain ses soldats parcourent, la torche à la main, les plus belles campagnes de l’Italie. Rien ne peut déconcerter Fabius. Il oppose à Annibal les armes et les artifices d’Annibal, et il suit son redoutable adversaire à une ou deux journées de distance, sans vouloir ni le joindre, ni le combattre, persuadé que les Carthaginois ne pourront séjourner longtemps dans un pays dévasté. Le général carthaginois se répandit alors dans les plaines Capoue, espérant que les villes épouvantées abandonneraient le parti des Romains, et que Fabius quitterait enfin les montagnes. Cette campagne, remplie par des mouvements et des marches continuelles, allait finir sans résultat, lorsqu’Annibal, attiré par les combinaisons de Fabius, se trouva enfermé dans les défilés de Casilinum, et tomba dans les mêmes pièges où Flaminius avait trouvé sa perte. Serré entre les rochers de Formies, les sables de Lecsternum et des étangs impraticables, Annibal eut recours à la ruse. Par son ordre, mille bœufs sont réunis, et leurs cornes entourées de torches allumées. Au milieu de la nuit, ces animaux furieux sont chassés vers les défilés que gardaient les Romains ; ceux-ci, effrayés de cette multitude de feux errants, abandonnent les hauteurs, et Annibal force le passage. Les Romains, alors, mécontents de Fabius et de ses délais, partagèrent la dictature entre ce grand homme et Minuttius Félix, son général de cavalerie. Enflé par un léger succès, ce dernier, pressé de combattre, tombe dans une embuscade, près de Gerunium, et il y aurait péri, sans le généreux secours de Fabius. Cette campagne finie, d’autres généraux romains semblèrent aussi ne vouloir plus rien donner au hasard, et temporisèrent, à l’exemple de Fabius. Annibal voyait avec douleur son armée se consumer lentement, lorsque Terentius Varron, nouveau consul, homme ignorant et présomptueux, vint prendre le commandement des légions. Annibal s’était emparé de Cannes, et il avait réduit les Romains à la nécessité de combattre, Les deux armées allaient être en présence ; Paul-Emile, collègue de Varron, voulait différer la bataille, à cause du désavantage du terrain. Varron, au contraire, choisit le jour de son commandement pour donner le signal du combat. 86,000 Romains couvraient la plaine qui s’étend près de la rivière d’Aufide et du bourg de Cannes, à six lieues de l’Adriatique. Giscon, qui venait de les reconnaître, accourut effrayé, pour annoncer que les ennemis étaient innombrables. « Oui, répond Annibal ; mais il y a une chose singulière, Giscon, à laquelle tu ne prends pas garde, c’est que, dans ce prodigieux nombre d’hommes, il n’y en a pas un seul qui s’appelle Giscon comme toi. » Ce trait plaisant, au moment d’un si grand péril, peint l’admirable sang-froid d’Annibal. Dans cette journée mémorable, son armée, de moitié inférieure à l’armée romaine, dut la victoire au génie de son chef. Quoique les relations parvenues jusqu’à nous ne soient point assez claires pour en expliquer tous les détails, et pour qu’on puisse en porter un jugement raisonné, il parait certain que l’action commença par une victoire complète que remporta l’aile gauche de la cavalerie carthaginoise, conduite par Asdrubal, sur la cavalerie romaine de l’aile droite. Celle-ci avait imprudemment mis pied à terre : « J’aimerais autant, s’écria Annibal, que le consul m’eût livré ses soldats pieds et poings liés. » L’infanterie gauloise et espagnole était placée au centre de l’armée carthaginoise, en ligne convexe et saillante, et présentait ainsi à l’ennemi son côté faible ; elle fut repoussée par les Romains, qui pénétrèrent