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« Celles du Merle, du Patriarche, des Fourmis, sont de ce nombre. De telles fables sont du sublime écrit avec naïveté. Vous avez le mérite du style, celui de l’invention, dans un genre où tout paraissait avoir été dit (22 mars 1738). » Dans une autre lettre Voltaire lui disait encore : « Vous vous êtes mis à côté de la Fontaine, etc. (15 juin 1760). » En tête de son recueil, l’abbé Aubert a placé un Discours sur la manière de lire les fables ou de les réciter, dans lequel il s’élève contre la détestable méthode qui existe encore dans les collèges. En 1765, il publia en vers alexandrins et sous la forme d’un drame (en 5 actes), une assez froide imitation de la Mort d’Abel, par Gesner. On y remarque une belle tirade dans laquelle Adam s’accuse des crimes auxquels se livrera sa postérité. Dans le même volume se trouve le Vœu de Jephté, poème dialogue, à l’imitation des motets français dont Mondonville composait la musique pour les concerts spirituels de la quinzaine de Pâques. Cependant Aubert avait entrepris de refaire en vers de dix syllabes la Psyché de la Fontaine. Il échoua complétement dans cette triste imitation, qui parut en 1769. Ce n’est pas qu’il ne se rencontre dans les huits chants de ce poème quelques passages agréables ; mais l’ensemble en est ennuyeux ; et c’est avec raison que Grimm et Laharpe ont délié le lecteur le plus intrépide d’en lire plus d’un chant. Fréron, ordinairement si favorable à l’abbé Aubert, lui a reproché de n’avoir pas respecté les amours de Psyché et de Cupidon tels qu’on les lisait depuis près d’un siècle ; de s’être ainsi flatté de surpasser la Fontaine, et de l’avoir sévèrement critiqué dans sa préface et dans ses notes. Dans cette préface, en effet, Aubert parle de lui-même avec une inconcevable fatuité ; il remarque d’abord que la Fontaine a presque toujours emprunté le sujet de ses fables, puis il ajoute : « J’ai cru qu’après avoir composé près de deux cents petits ouvrages de ce genre, dont j’ai moi-même imaginé les sujets, on ne trouverait pas mauvais que ressayasse à mon tour de revêtir des charmes de la poésie l’invention d’un autre[1]. » Le poème de Psyché était suivi de poésies fugitives d’un style fort négligé, entre autres d’une épître sur ce que l’auteur allait prendre perruque. Ces inconvenances littéraires lui attirèrent un déluge d’épigrammes et de brocards mérites. Il s’en consolait par le suffrage de certains journaux qui le prouvaient assidûment, et où il avait la réputation de faire ses affaires lui-même. Il rédigeait toujours la partie littéraire des Petites-Affiches, et continua jusqu’en 1772. Depuis le mois de juin 1776, il faisait le Journal des beaux-arts et des sciences, destiné à servir de suite au Journal de Trévoux, et dédié au duc de la Vrillière. Ce ministre, qui protégeait chaudement l’abbé Aubert, créa pour lui une chaire de littérature française au collège royal. Le 22 décembre 1775, le nouveau professeur prononça son discours d’ouverture en langue française : heureuse innovation ordonnée par le ministre ; car jusqu’alors le discours avait toujours été débité en latin. Les progrès de la langue et de la littérature françaises, et la nécessité d’en étudier le génie et le caractère, tel fut le sujet que traits l’abbé Aubert. Dans ses assertions sur l’origine de notre idiome national, il fit preuve d’une complète et alors bien commune ignorance de notre histoire. Il reprochait à Charlemagne, dont la langue maternelle était le tudesque, de n’avoir pas assujetti ses peuples à parler la langue française, qui n’existait pas encore[2]. Sous le rapport oratoire, ce discours est assez médiocre : on y trouve cependant un éloge judicieux de Rollin. Il parut imprimé l’année suivante dans l’édition en 2 volumes in-8o que l’abbé Aubert publia sous le titre de Fables et Œuvres diverses, avec une dédicace en vers au duc de la Vrillière, dédicace que, dans l’édition de 1760, il avait adressée à l’Académie française : celle-ci n’occupait plus que le second rang. L’édition de 1771 offrait un assez grand nombre de fables nouvelles, et plusieurs contes moraux en vers. Durant cette même année, l’abbé Aubert fut, sur la proposition du comte de Vergennes, nommé par le roi à la direction générale de la Gazette de France. Il était en outre charge de la police des journaux étrangers, puis censeur royal. En 1781 il résigna sa chaire au collège de France, où il eut pour successeur l’abbé Cournand (voy. ce nom) ; et, chose assez rare, il vécut encore assez longtemps pour jouir, pendant plus de trente ans, des prérogatives de la vétérance. En 1814 son nom figurait encore comme professeur honoraire sur l’affiche des cours du collège royal. En 1786 il avait quitta la direction de la Gazette de France, qu’il reprit en 1791 pour l’abandonner sans retour en 1792. Jusqu’au moment de la révolution, l’abbé Aubert avait été l’un des hommes de lettres les mieux traités par la cour ; mais la fortune dont il jouissait ne le consola jamais de n’avoir pu entrer à l’Académie. Ses continuelles attaques contre la secte philosophique, alors toute-puissante dans cette compagnie, lui en fermèrent les portes. Les écrivains dont il avait attaqué les doctrines, dans ses journaux et dans ses apologues, s’étaient ligués pour lui supposer des ridicules que semblèrent d’abord justifier jusqu’à un certain point ses anciennes prétentions à être l’émule de la Fontaine. Oubliant à son égard les convenances personnelles, ils se plurent à accabler des plus grossières injures. Beaumarchais, entre autres, ne les lui a pas épargnées. Dans un démêlé que l’abbé Aubert eut avec Marmontel, il lui avait dit :

Imite au moins la sage Pénélope ;
Défais la nuit ce que tu fais le jour.

  1. Cette phrase prétentieuse a disparu dans la réimpression du poëme qui fait partie de l’édition des Fables et Œuvres diverses de l’abbé Aubert, publiée en 1771. Voici la phrase qu’il a substituée à la première : « j’ai cru enfin qu’après m’être longtemps exercé dans ce genre (de la fable), on ne trouverait pas mauvais que j’essayasse de revêtir des charmes de la poésie une fiction qui y tient de si près. »
  2. Cette phrase sur Charlemagne a été malheureusement conservée par l’auteur dans l’édition de 1771.
    A-t.