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qui n’était guère dans son caractère, fit adresser aux corps de troupes réunis autour de St-Cloud l’audacieuse sommation de déposer les armes, sommation qui, disons-le pour l’honneur militaire, demeura sans effet. Le duc de Mortemart, par des raisons particulières, n’ayant pu présenter lui-même à la réunion des députés les ordonnances de révocation, cette mission fut remplie par M. Collin de Sussy, qui fut écouté sans faveur. Il comprit que le gouvernement de fait qui siégeait à l’hôtel de ville était le seul tribunal où la cause de Charles X et de sa dynastie pùt à cette heure s’agiter encore avec utilité. M. Collin fut admis avec peine auprès de Lafayette, qu’environnait un cortége menaçant de délégués des sociétés populaires, de gardes nationaux et d’ouvriers. « C’est aujourd’hui le plus beau jour de ma vie, lui dit le général avec enthousiasme ; vous me voyez entouré d’amis qui étaient las comme moi du despotisme des quinze dernières années [1]. Permettez que nous prenions tous ensemble connaissance de votre message. » M. de Sussy ayant témoigné le désir d’être présenté à la commission municipale, Lafayette lui-même le mit en rapport avec MM. de Lobau, Mauguin et Audry de Puyraveau ; mais à peine eut-il commencé la communication dont il s’était chargé qu’il fut interrompu par les exclamations répétées : «Il est trop tard ! il est trop tard ! Charles X a cessé de régner ; le peuple a acquis par son sang le droit de se choisir un autre souverain ! » Malgré cette réponse si péremptoire de la commission, le général, dont la mesure et la politesse ne s’étaient pas un instant démenties, crut devoir rendre hommage à son principe favori en faisant connaître la mission de M. de Sussy au peuple qui se pressait dans l’intérieur de l’hôtel de ville. Il passa à cet effet dans la grande salle, et, après avoir réclamé le silence, il se mit en devoir de donner lecture des dernières ordonnances de Charles X. Mais à ce nom seul un cri de réprobation se fit entendre sur tous les points de la salle. La lecture des ordonnances excita de nouvelles vociférations. Ce fut au milieu de cet ouragan populaire que Lafayette, exalté par ses souvenirs, par ses préjugés, et par l’enivrement de cette popularité dont l’ambition avait eu tant de part aux erreurs de sa vie, fit entendre à travers un sourire ces simples paroles, qui devaient être un arrêt fatal : « Vous le voyez, il faut vous résigner ; c’est fini des Bourbons ! » En prenant congé du général, M. de Sussy tenta vainement de l’écarter de l’hôtel de ville, sous prétexte d’une conférence au Luxembourg avec le duc de Mortemart ; il répondit que le délégué du peuple ne pouvait avoir rien de commun avec l’envoyé de la monarchie déchue, et l’entretien fut terminé. La conduite de Lafayette fut dès ce moment conforme à cet acte éclatant de répulsion. Il rejeta hautement l’offre qui lui fut faite d’être le régent de Henri V, et le général Talon, l’un des chefs de la garde royale, l’ayant engagé à s’expliquer sur l’effet des ordonnances du 29, il répondit le 31 par un billet autographe dont le ton absolu rappelait celui des firmans impériaux ; ce billet se terminait ainsi : « Toute réconciliation est impossible, et la famille royale a cessé de régner. » Le parti bonapartiste, de tout temps antipathique à Lafayette, s’était agité sans aucune chance de succès. Restait à opter entre deux autres combinaisons gouvernementales : la république et la monarchie du duc d’Orléans. L’appel de ce prince à la lieutenance générale du royaume, dans la journée du 30 juillet, était un grand pas dans la voie de cette solution ; mais il importait de décider Lafayette, qui n’avait vu dans cette résolution précipitée qu’une mesure purement provisoire. Fils de l’ennemi personnel du général, ce prince ne se recommandait à son suffrage par aucune prédilection particulière ; mais ses partisans se mirent activement à l’œuvre. Ils firent valoir l’origine révolutionnaire du prince, ses antécédents patriotiques, alors assez mal connus, ses vertus de famille, son opposition permanente au système de la restauration. Ces considérations, habilement présentées, surmontèrent les instigations démagogiques des sociétés établies à l’hôtel de ville, et tirent pencher définitivement la balance en sa faveur [2]. Une circonstance fortuite ou préparée acheva de fixer l’indécision du général. M. Rives, ministre américain à Paris, étant venu le visiter à l'hôtel de ville : « Que vont dire nos amis des États-Unis, s’écria Lafayette en s’avançant vers lui avec empressement, s’ils apprennent que nous avons proclamé la république en France ? - Ils diront, répondit froidement M. Rives, que quarante ans d’expérience ont été perdus pour les Français. » Lafayette, qui avait refusé avec un désintéressement louable la présidence de la république, renonça, momentanément du moins, à son utopie favorite. Ce caractère, d’une énergie si ferme et si opiniâtre lorsqu’il s’agissait de détruire, s’était trouvé faible et indécis en face d’une œuvre de reconstruction. Le duc d’Orléans vint, dans la journée du 31, demander son investiture à l’arbitre naturel du dénoùment de la révolution. Il traversa les salles de l’hôtel de ville au milieu d’une multitude silencieuse et malveillante, et ces dispositions ne prirent un autre cours que lorsque le prince et le général s’unirent sur le balcon de l’hôtel par une accolade qui parut proclamer ou consommer l’adoption populaire. Le lendemain, 1er août, Lafayette, déférant au vœu exprimé par plusieurs membres de la commission municipale, se rendit au Palais-Royal dans


  1. Chronique de Juillet, par M. Rozet
  2. Louis-Philippe et la contre-révolution de 1830, par Sarrans, t.2