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Il y démontre que si les distances moyennes des planètes au soleil, pendant un nombre de révolutions successives, varient, la moyenne des moyennes est invariablement la même. Dès lors Laplace prit rang dans l’opinion, malgré sa jeunesse, parmi les notabilités de la science ; et comme d’ailleurs il ne manquait point de cette souplesse non moins nécessaire que le mérite à l’avancement, il devint, dès 1775, membre adjoint de l’Académie des sciences, et, en 1785, membre titulaire en remplacement de Leroy. Peu de temps auparavant, il avait succédé à Bezout comme examinateur des élèves du corps royal d’artillerie. Nul doute que, comme savant, il ne fût digne de ces avantages, et de plus encore. Presque perpétuellement occupé des questions les plus ardues de l’astronomie mathématique, il commençait à faire faire des pas réels à cette partie si difficile de la science, à confirmer par la géométrie, en même temps la plus délicate et la plus élevée, les pressentiments de ses devanciers, à démontrer la justesse des conceptions de Newton jusque dans leurs derniers détails ; à donner aux théories, par la précision et la profondeur des calculs, une universalité saisissante. Ses résultats sur cette branche favorite de ses études enrichissaient le recueil de l’Académie. En même temps il se tenait au courant des découvertes matérielles faites par les autres astronomes ; il avait été des plus prompts à suivre celle du Georgium sidus. Aidé du modeste et habile président Saron, qui faisait pour lui le métier d’observateur et des calculs souvent pénibles et fastidieux, il avait reconnu, cinq mois après la découverte, que l’astre nouveau se mouvait dans un orbe presque circulaire de très-grand rayon ; puis, un an plus tard, il avait vu les observations s’éloigner dé l’hypothèse circulaire, et indiquer l’ellipticité de l’orbite ; puis, se mettant à la recherche d’une méthode analytique pour déterminer directement l’orbite elliptique d’une planète par quatre observations peu distantes, il en avait tiré les principaux éléments du cours de l’astre, et annoncé dès lors, comme incontestable, que c’était une planète (fin de 1782) ; et enfin, Bode ayant proclamé l’identité de la planète et de l’étoile 964’ du catalogue de Mayer, il trouva, en refaisant les calculs d’après ses formules, que cette planète avait dû être, en effet, à quelques secondes près, à la place d’Herschel, au moment où observait Mayer (10h 21’ 18”, terme moyen à Paris, 25 septembre 1756)[1]. Il s’était associé aux recherches de Lavoisier sur le calorique et sur quelques points de la théorie des vapeurs et de l’électricité. Très-préoccupé des problèmes sur les probabilités, et par suite, tandis qu’il en cherchait les applications et les exemples, entraîné vers la théorie des institutions aléatoires, vers les calculs Sur la vie, et vers divers objets de statistique, il avait tenté, avec Duséjour et Condorcet, de déterminer la population générale et particulière de la France. Toutes les idées fondamentales dont le développement et la démonstration ont fait sa gloire. il les avait au plus tard à trente ans, et la plupart d’entre elles avant cet âge. Chaque année en faisait sortir quelqu’une de l’état de vague ou de simple soupçon pour l’élever au rang de fait scientifique, de vérité démontrée et précisée, et déjà il songeait à réunir en un corps, en un vaste ouvrage, qui serait comme l’Almageste de l’âge moderne, ses découvertes et celles de ses devanciers sur le système du monde. Laplace traversa les mauvais jours de la révolution, en gardant dans la lutte des partis une neutralité prudente, parfois même en payant aux chefs du moment un tribut d’hommages forcés. En 1796, il fut un des membres de la députation qui vint jurer à la barre du conseil des Cinq-Cents haine à la royauté. On peut dire, il est vrai, que la députation, que le chef de la députation du moins n’en savait rien d’avance (voy. Lacépède). Un peu plus tard, Laplace fit hommage au même conseil de son Exposition du système du monde. Il proposa ensuite aux membres de l’Institut, ses collègues, d’offrir aux représentants du peuple le compte rendu annuel de leurs travaux ; et cette motion ayant été adoptée, il parut dans l’assemblée à la tête des savants que le sort désigna pour cette mission. Dans la harangue qu’il adressa aux députés à ce sujet, il fit, avec un accent de conviction, l’éloge pompeux, non-seulement des sciences et du mécanisme des choses célestes, mais aussi du mécanisme des choses d’ici-bas, de la révolution en général, du directoire en particulier. Bonaparte, une fois admis à l’Institut, se lia avec Laplace qui devinait déjà en lui le futur arbitre des destinées de la France. Il eut souvent recours à lui pour la formation de la commission d’Égypte ; et lorsque, revenu de cette expédition, il eut ôté le pouvoir des mains du directoire, et pris le titre de premier consul, il confia le portefeuille de l’intérieur à Laplace. Mais il ne tarda point à s’apercevoir qu’il s’était trompé sur la véritable aptitude du savant géomètre, et dans les Mémoires de Ste-Hélène, on le montre s’expliquant ainsi sur son ex-ministre : « Laplace était un administrateur plus que médiocre : il ne prenait rien sous son point de vue ; il cherchait des subtilités partout, et partout ne voyait que des infiniment petits. » Le fait, c’est qu’au bout de six semaines, Laplace ne put y tenir, et que le premier consul donna le ministère à son frère Lucien. Laplace eut, pour se consoler, un siége au sénat conservateur (décembre 1799) ; et, en 1805, il devint successivement vice-président et chancelier de ce corps. Dès l’institution de la Légion dl honneur, il fut décoré du grand cordon de cet ordre (1805). Le rôle politique de Laplace fut nul sous l’empire.

  1. Toutefois les éléments d’Herschel donnés par Laplace ont été, mais très-légèrement, modifiés tant par lui-même ou sous ses auspices, au bout d’un temps, que par d’autres astronomes. La justesse de ses résultats était déjà bien surprenante si l’on songe qu’il n’avait eu pour données que des observations extrêmement voisines.