Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/254

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nait vers les institutions libérales. Déjà pendant son séjour à Paris, il avait eu la pensée de passer en Amérique, pour servir comme volontaire la cause de l’indépendance ; ce besoin de liberté devenant plus impérieux, Larevellière songeait, ainsi que sa femme et ses deux amis, Pilastre et Leclerc, de Haine-et-Loire, à quitter la France pour aller se fixer soit en Suisse, soit aux États-Unis. Pilastre avait même entrepris des voyages pour préparer les voies à l’exécution de ce projet, qui eut fini par se réaliser si la révolution de 1789 n’était venue dispenser ces jeunes impatients d’aller si loin à la recherche de la liberté. En attendant, madame Larevellière rassemblait à grand’peine toutes les plantes de la contrée dans un herbier très-complet pour le temps, et s’occupait avec son mari à procurer des espèces vivantes au jardin botanique d’Angers. À la mort du docteur Buroleau, l’un des fondateurs de ce jardin et professeur de botanique, une société de botanophiles fit près de Larevellière une démarche collective pour le prier d’accepter la succession. Il fallut faire violence in sa modestie. Mais enfin, vaincu par des sollicitations réitérées et voulant faire preuve de bonne volonté, il consentit à enseigner une science dans laquelle il sentait encore le besoin de se perfectionner. La méthode naturelle de Jussieu n’était guère en honneur à cette époque ; d’ailleurs le système de Linné convenait mieux à l’imagination poétique du professeur improvisé : ce fut celui qu’il adopta. Le cours, étant public et gratuit, réunit dès l’abord un grand nombre d’auditeurs ; mais grâce à l’intérêt et à la nouveauté du sujet, grâce surtout aux qualités oratoires de Larevellière, l’affluence fut toujours croissante et le cours eut un immense succès. La fermeté de la pensée, l’éclat des images, la correction et l’élégance du style, le charme d’un organe clair et flatteur, tout annonçait un homme destiné à marquer sur un plus vaste théâtre. Ces leçons, modestement professées au fond d’un jardin botanique de province décidèrent peut-être de la fortune politique de Larevellière. On était encore sous le charme de sa parole et tous les regards dirigés vers lui, quand survinrent les élections aux états généraux. Choisi d’abord comme syndic de la commune et membre de l’assemblée du bailliage d’Angers, il y fut élu au même titre que Volney, qui venait de publier son Voyage en Égypte, c’est-à-dire pour son seul mérite. En Anjou, comme dans le reste de la France, les partis n’existaient pas encore, les ambitions particulières n’avaient pas eu le temps de naître. Les élections furent exemptes de luttes et d’intrigues, le courant de l’opinion suivit sa pente naturelle, et les choix se fixèrent sur les hommes les plus considérables par leur caractère, leurs lumières ou leur talent. Outre son éloquence naturelle, Larevellière apportait à l’assemblée de Versailles un esprit mûri par la lecture des meilleurs auteurs et par la méditation ; il était très-familiarisé avec l’histoire d’Angleterre et parfaitement édifié sur le mécanisme des institutions parlementaires de ce pays, par ses conversations avec des jeunes gens des plus puissantes familles de la Grande-Bretagne, qui fréquentaient l’académie royale d’équitation d’Angers. Ses idées n’étaient peut-être pas arrêtées sur toutes les questions à débattre, mais, à coup sûr, il voyait nettement la direction à suivre et le but à atteindre. Il était donc préparé à la lutte sur toutes les questions fondamentales, et, quant aux points secondaires, il devait trouver dans ses inspirations généreuses un guide plus sûr que dans la réflexion même. En s’élançant sur cette mer orageuse de la politique, Larevellière en avait d’avance mesuré les rivages ; sa pensée le transportait au delà des premiers horizons, et l’éclat des aspects nouveaux n’étonnait pas, comme chez tant d’autres, ses regards éblouis. Dès les premières séances, il se fit remarquer par des opinions déjà très-décidées, et son opposition vigoureuse aux prétentions des ordres privilégiés et de la cour. Il débuta par d’assez vives discussions avec M. de Brézé et avec M. de la Galissonnière, grand sénéchal de la province d’Anjou, sur des points d’étiquette qui cachaient de plus graves questions politiques. Après avoir été de ceux qui sollicitèrent la réunion des trois ordres et la vérification des pouvoirs en commun, il réclama avec véhémence la suppression des ordres, et, considérant d’avance toute distinction comme abolie, il ne parut à l’assemblée qu’en habit de ville, et ne consentit jamais à s’affubler du costume piètre et ridicule assigné aux députés du tiers par les ordonnateurs du cérémonial, et définitivement repoussé dès que cet ordre, qui n’était rien et qui était tout, eut acquis la conscience de sa force en même temps que celle de son droit. Dès les premiers temps de la constituante, Larevellière se montra ce qu’il devait être plus tard. Fonder la liberté sur la morale, faire des vertus privées, des liens de famille la base des vertus publiques et de la constitution de l’État ; telle fut la doctrine de toute sa vie. Mais, pour fonder la liberté, il fallait se montrer aussi attentif à saper les prérogatives de la couronne que jaloux d’établir les droits des citoyens ; il ne faillit jamais à cette double tâche. Le 29 mars l’790, le roi adressait à l’assemblée nationale une lettre relative aux payements du trésor et non contre-signée par un ministre, Larevellière fit remarquer l’irrégularité, et s’opposa énergiquement à toute délibération sur cette missive. Une autre fois, il demanda que les juges fussent institués par le peuple. En général, il prit part à toutes les justes accusations dirigées contre les ministres. Cependant, quelques biographes malintentionnés lui reprochent comme une inconséquence d’avoir prophétisé l’avènement du despotisme au lendemain de la chute du trône. Les paroles prononcées par Larevellière le 18 mai 1791 n’avaient