Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 23.djvu/660

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beaucoup de force la nécessite de se réunir contre les innovations révolutionnaires. Ce mémoire, officiellement transmis aux cours de Munich, de Salzbourg et à tous les princes du Rhin, ne put cependant les déterminer complétement. Le comte de Lehrbach resta dans ces contrées, pour y entretenir le zèle des habitants contre les Français. Après la paix de Bâle, en 1795, il fut envoyé à Berlin comme ministre de l’empire, puis à Ratisbonne et à Bâle, où il y eut des conférences avec le baron de Hardenberg et le plénipotentiaire français Barthélemy. Ce fut lui surtout qui parvint à faire échouer le projet d’alliance avec la Prusse que la France méditait. Étant retourné à Vienne, il y eut une grande part à la direction des affaires ; et lorsque, après les premières victoires de Bonaparte en Italie, on agita dans le conseil aulique la question de savoir s’il ne convenait pas de faire la paix, il s’y opposa fortement et fit prévaloir son opinion. Il parla encore dans le même sens l’année suivante, quand Bonaparte menaça l’Autriche de combler le port de Trieste et de détruire tous ses établissements de l’Adriatique, si si elle ne consentait pas à entrer sur-le-champ dans des négociations de paix. Envoyé un peu plus tard dans le Tyrol comme commissaire impérial, le comte de Lehrbach y acquit par son éloquence mâle et populaire un grand ascendant sur l’esprit des habitants, et il en tira un grand parti pour le succès des armes de l’Autriche ; ce qui n’empêcha pas, toutefois, l’armée française d’arriver aux portes de Vienne. Ce fut alors que Lehrbach adressa du Tyrol à l’empereur un rapport sur les succès qu’il avait obtenus dans cette contrée, et qu’il y parla de l’armistice conclu comme d’une circonstance funeste pour l’Autriche, en ce qu’elle ne pouvait qu’affaiblir le zèle des Tyroliens et celui des Vénitiens insurgés, qui venaient de s’emparer de Vérone. « Sans cet armistice, ajoutait le commissaire impérial, Bonaparte eût vraiment éprouvé le sort de Charles XII à Pultawa, ou celui de Pierre le Grand sur le Pruth ; ou, du moins, il lui eût fallu s’ouvrir une retraite par le Tyrol, pour éviter le choc de l’armée impériale, dont les masses arrivaient de toutes parts ; et là attendre le résultat des opérations des armées françaises sur le Rhin. Mais le bonheur qui l’accompagne, soit comme général, soit comme négociateur, l’a tiré d’une situation dont le danger était plus évident que ses suites n’étoient faciles à calculer.. » De tels avertissements ne purent rien changer aux préliminaires de Léoben qui étaient signés et qui ne donnèrent à l’empereur François que d’inutiles regrets. Quand Lehrbach connut toute l’étendue des sacrifices que l’Autriche avait faits, et surtout l’abandon de Mayence et les projets de sécularisation qui devaient bientôt anéantir l’empire germanique, il s’écria douloureusement, au milieu du conseil : « Non, la monarchie autrichienne n’est pas encore réduite à mutiler de ses propres mains l’empire d’Allemagne, dont elle est le principal appui ! Non, elle ne se déshonorera pas en se mettant à la merci d’une puissance insatiable, et dont le contact suffit pour inoculer la contagion révolutionnaire[1] !.. » Envoyé peu après au congrès de Rastadt, comme délégué de l’Autriche, le comte de Lehrbach s’y montra, dans toutes les occasions, un des partisans les plus prononcés de la guerre. Une de ses dépêches de cette époque (sept. 1798) adressée au ministre Thugut, qu’on lit au tome 4 de la précieuse collection des Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, fera assez connaître son acharnement contre la France : « La Providence semble avoir choisi le bras de la marine anglaise[2] pour punir les forfaits commis sur l’Italie et la Suisse. C’est par cette intervention qu’elle apprend à l’Europe corrompue qu’il n’est pas vrai que le crime soit toujours heureux. Le gouvernement, brisé de rage, vient d’ordonner à ses conseils de lui lever deux cent mille hommes et un subside de cent vingt-cinq millions. Mais ici ce n’est plus la même audace ; et malgré toutes les bravades de la légation française, on voit percer le sentiment de la peur. Vous pouvez m’en croire ; la déclaration de guerre de la Porte ottomane, événement si inattendu ; le parti non équivoque qu’a pris en même temps la Russie ; le désastre de la flotte de Toulon, la dangereuse position de Bonaparte, le mauvais succès de l’expédition concertée pour l’Irlande à toutes ces circonstances réunies ont augmenté le désir de la paix du côté de la France ; les concessions faites à Rastadt en sont le premier fruit. N’allez donc pas vous relâcher au sujet des Grisons ; occupez même sans retard le pays ; en préservant le Tyrol, fermez une des portes de l’Italie et de la monarchie autrichienne. Ne craignez nullement de provoquer la guerre ; je sais positivement qu’ou n’est point encore en mesure à Paris. Vite occupez les Grisons, si vous voulez que l’Autriche reprenne son ascendant à Rastadt, en Allemagne et en Italie ! » Cependant le comte de Lehrbach se trouva dans le plus extrême embarras lorsqu’il se vit pressé de questions, par les envoyés des différents États du corps germanique, sur la convention secrète qui existait entre la France et l’Autriche pour l’abandon de Mayence et des autres places du Rhin. Il refusa positivement de communiquer les articles secrets du traité de Campo-Formio, où cet abandon était stipulé, déclarant que la Prusse n’avait pas davantage communiqué ceux de Bâle. Cependant il finit par avouer que, s’il eût bien connu le rôle que Thugut avait voulu lui faire jouer au congrès, il ne s’en serait pas chargé. Mais il n’est que trop vrai qu’il en accepta bientôt un autre que certes il aurait dû repousser encore bien davantage. La soupçonneuse rivalité de l’Autriche et de la Prusse

  1. 'Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État, t. I, p. 122.
  2. Ce trait est relatif à la bataille d’Aboukir, où la flotte française venait d’être si malheureusement anéantie.