Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 31.djvu/100

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berg, noble et magnifique dans ses jouissances, s’était empressé d’accueillir un talent que la France négligeait de conserver. Noverre dirigea pendant plusieurs années les fêtes d’hiver que donnait ce prince, pour lequel il composa les Amours de Henri IV et autres ballets historiques : Médée et Jason, Orphée aux enfers, Sémiramis, Antoine et Cléopâtre, la Mort d’Hercule, Psyché, Diane et Endymíon, Vénus et Adonis, Armíde, l’Enlèvement de Proserpine, les Danaïdes, etc. L’impression que produisit cette dernière pièce fut si forte qu’au moment où les spectres, les Parques et la Mort parurent sur la scène une partie des spectateurs prirent la fuite. Vestris, le dieu de la danse, qui venait donner tous les ans des représentations à Stuttgard pendant les trois mois de congé que lui accordait l’administration de l’Opéra, goûta le genre introduit par Noverre, le propagea dans ses excursions à Vienne et à Varsovie, et le rapporta à Paris, où il fit connaître l’opéra de Médée. Noverre fut appelé à Vienne pour embellir les fêtes préparées à l’occasion du mariage de l’archiduchesse Caroline (la reine de Naples). Déclaré maître des ballets et directeur des fêtes de la cour, il fut aussi maître de danse de la famille de Marie-Thérèse, qui le combla de bienfaits et accorda une sous-lieutenance à son fils. Après avoir fait représenter à Vienne Iphigéníe en Tauride, les Grâces, Alceste, Roger et Bradamante, Énée et Didon, Adèle de Ponthieu, les Horaces, la Mort d’Agamemnon, il quitta ce théâtre de ses succès, et suivit à Milan l’archiduc Ferdinand, qui venait de s’unir à la princesse Béatrix de Modène. Là se succédèrent ses nouvelles productions, Apelles et Campaspe, la Rosière de Salency, la Foire du Caire, Ritiger et Wenda, Galeas duc de Milan, Eutime et Eucharis, Belton et Elisa, Hyménée et Chryséis. Noverre reçut la croix de l’ordre du Christ en récompense de ses travaux, dont il fit jouir les cours de Naples et de Lisbonne. À son retour à Vienne, il se trouva sans emploi, par la suppression du théâtre de la Cour et du Théâtre-National. Il fit alors un second voyage à Londres, et finit par se rendre aux désirs de la reine de France Marie-Antoinette, qui voulait le fixer à Paris. On lui déféra le titre de maître des ballets en chef de l’Académie royale de musique, malgré les cris des partisans de Gardel aîné, qui était en possession de cette place. Il devint l’ordonnateur des fêtes du petit Trianon, et composa les ballets des opéras de Gluck et de Piccini. Il débuta par Apelles et Campaspe ; les Caprices de Galatée, Annette et Lubin, et d’autres bagatelles ingénieuses soutinrent l’engouement excité par son premier essai. Dauberval, Gallet et le Picq, ses élèves, et surtout Vestris père, lui avaient préparé les voies en mêlant à la danse, continue avant eux, le langage énergique de la pantomime. Noverre éprouva les difficultés de cet art borné, qui n’a que le moment présent à sa disposition, et qui ne peut traduire le dialogue et les mouvements tranquilles. En traitant les Horaces, il ne reproduisit qu’imparfaitement les beautés de Corneille, et s’attira les brocards des plaisants, qui ne désespéraient pas, disaient-ils, de voir danser les Maximes de la Rochefoucauld. Le combat des six champions fut supérieurement exécuté, et il y avait de la chaleur dans les imprécations de Camille ; mais l’air triomphant avec lequel Horace montre à sa sœur l’écharpe ensanglantée de Curiace parut une atrocité gratuite, et l’on condamna, entre autres invraisemblances, l’or qui couvrait les six guerriers, à une époque où les Romains arboraient du foin pour étendard. Cette faute grossière contre le costume n’était point imputable à Noverre, qui n’avait pu changer à cet égard les habitudes de ses figurants. Pendant les troubles de la révolution, Noverre alla passer une saison à Londres ; il y donna les Noces de Thétis et Iphigénie en Aulide, qu’il avouait pour son chef-d’œuvre. Le public anglais, emporté par l’enthousiasme, couronna l’auteur sur le théâtre. Noverre eut beaucoup il souffrir des spoliations qui furent le résultat de nos commotions politiques : sa vieillesse s’écoula dans la médiocrité. Il mourut à St-Germain en Laye le 19 novembre 1810. Il avait publié en 1807 une nouvelle édition fort augmentée de ses Lettres sur les arts imitateurs et sur la danse en particulier[1], 2 vol. in-8°. La poétique de son art y est développée avec une complaisance un peu verbeuse et quelque prétention dans le style ; elle est terminée par des lettres sur Garrick, sur la composition de l’opéra et sur les fêtes nationales ; il y juge les artistes avec une équité digne d’estime. À l’époque de sa mort, il s’occupait d’un dictionnaire de la danse, où il voulait rectifier le travail de Cahusac dans l’Encyclopédie. Noverre, plein du sentiment de son mérite comme artiste, savait soutenir avec dignité son importance individuelle. Un ministre l’ayant envoyé chercher, il s’excusa sur ses affaires et sa santé, et ne se rendit qu’à une troisième invitation.

L’homme d’État témoigna son mécontentement : il se montra surpris « qu’un maître à danser se fit dire trois fois de venir chez un ministre. - Je ne suis pas difficile sur les titres, répondit Noverre ; cependant je pourrais vous répondre que je suis maître à danser comme Voltaire est maître à écrire. »

F—t.


NOVES et non pas NOVÈS (Laure de), moins connue sous son nom de famille, longtemps ignoré, que sous celui de la Belle Laure, qui lui a été dé-


  1. Noverre avait déjà publié ces lettres à Vienne, en 1767, en un volume petit in-8° ; l’édition qui parut à St-Petersbourg est intitulée Lettres sur la danse, sur les ballets et les arts, 1803-1804, en 4 volumes ou parties in-4°. Outre les programmes de plusieurs ballets, on a encore de Noverre : Lettres (deux) sur Garrick, écrites à Voltaire. Elles sont imprimées à la suite de la traduction française de la Vie de D. Gorrick, an 9 (l801), in-8° ; elles remplissent 62 pages : 2° Lettre à un artiste sur les fêtes publiques, 1801 in-8°. Ces opuscules sont compris dans l’édition de 1807. A. B-t