Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 32.djvu/380

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famille de terminer ses voyages, il refusa la main d’une riche héritière, et, répondant à l’affection d’un oncle qui se démettait en sa faveur, il se fit recevoir conseiller au parlement d’Aix. Il opina pour la (peine de mort dans le fameux procès de Gaufridi, en partageant le préjugé populaire qui s’élevait contre ce malheureux. Depuis, lorsqu’il eut reconnu qu’il pouvait bien n’y avoir rien de merveilleux dans les prestiges employés par un prêtre licencieux pour séduire une emme aible et crédule, il n’en soutint pas moins que le supplice du feu était une juste punition des sorciers, qui, s’ils n’ont pas avec le diable un commerce aussi direct qu’on l’imagine, consomment leur alliance avec lui par l’intention, et outragent la Divinité par leurs vœux et leurs tentatives. Peiresc était digne pourtant de penser à cet égard autrement que son siècle. En 1608, les murs extérieurs de la ville d’Aix, et ceux des maisons dans les campagnes environnantes, parurent teints de gouttes de sang d’intervalles en intervalles. Il n’est bruit bientôt que d’une pluie de sang qui aurait fait fuir jusqu’à Lambesc les paysans qui en auraient été témoins. Les physiciens, auxquels les explications ne manquent jamais, voient dans ce phénomène des vapeurs émanées d’une terre rouge. Le peuple s’obstine à croire que c’est l’ouvrage de spectres et de démons qui tuent de jeunes enfants. Peiresc leur prouve à tous qu’ils ont pris pour des traces de sang la liqueur rouge que dépose le papillon en sortant de l’état de chrysalide. On était au mois de juillet, et ces gouttes n’existaient que dans les trous où les insectes pouvaient nicher[1]. — En 1612, Peiresc fit un nouveau voyage à Paris. À cette époque parut le célèbre pamphlet intitulé Squittinio della libertà Veneta. Comme cet écrit supposait une grande connaissance de l’histoire du Bas-Empire et des rois goths, on l’attribua d’abord à Peiresc. Les conjectures se portèrent ensuite sur différents auteurs, et l’on finit par regarder le Squittinio comme l’ouvrage de Velser, l’un de ses amis, extrêmement dévoué à la maison d’Autriche. Duvair avant été nommé garde des sceaux en 1616, Peiresc le suivit dans sa nouvelle fortune, et borna aux seuls gens de lettres l’usage de son crédit. En 1617, il siégea parmi les notables assemblés à Rouen, et fit des représentations au sujet. des honoraires de sa compagnie, qui l’avait député avec un autre de ses collègues. L’année suivante, Louis XIII lui donna l’abbaye de Notre-Dame de Guistre, au diocèse de Bordeaux, et l’autorisa, par lettres patentes, à conserver avec ce bénéfl)ce ses fonctions de conseiller. Peiresc venait de se créer un titre à la bienveillance du roi. Un Belge, nommé Piespord, ayant osé imprimer que la maison d’Autriche remontait jusqu’à Pharamond, il produisit des actes du monastère de Muri, en Suisse, et, sur leur autorité, il établit que les comtes d’Habsbourg descendaient des rois de France par les mâles, mais que la maison d’Autriche n’appartenait à ces comtes que par les femmes. Ces recherches conduisirent Peiresc à en entreprendre de nouvelles, et trop occupé pour exécuter lui-même la grande pensée qu’il avait conçue de rassembler tous les écrivains contemporains et autres qui avaient traité de l’histoire nationale, il se déchargea de ce projet sur André Duchesne. La possession des marbres de Paros manqua, non à son zèle, mais à sa gloire. Son chargé d’ollaires à Smyrne, Samson, les avait découverts et achetés au prix de cinquante louis ; mais les vendeurs, au moment de Pembarquement, le firent différer sous quelque prétexte, et les marbres furent détournés. Ils tombèrent entre les mains du comte d’Arundel (voy. Arundel). Peiresc, en correspondance avec tous les savants de l’Europe, avait à sa charge en Asie, en Égypte et dans le nouveau monde, des courtiers littéraires occupés de satisfaire son besoin de connaître. Il se concertait avec les consuls de ces contrées, et de tous côtés lui arrivaient des manuscrits et des livres rares, des plantes et des animaux peu connus. Le P. Th. Minuti, de l’ordre des Minimes, entreprit pour lui deux voyages en Syrie et en Égypte. Malgré tous les revers et le médiocre discernement de ce religieux, Peiresc obtint, par son intermédiaire, un recueil assez précieux de livres orientaux. De ce nombre étaient des ouvrages en langue copte, arabe ou syriaque, et une Bible tritaple, c’est-à-dire à trois colonnes, offrant en regard les textes hébreu, arabe et samaritain. Il mit cette Bible à la disposition du P. Morin de l’oratoire, principal collaborateur de Lejeay, qui préparait sa polyglotte. Il tenait beaucoup à se procurer une copie du livre d’Hénoch, qu’il savait étre conservé chez les Abyssins ; mais sa confiance fut trompée à ce sujet (voy. Enoch). Un de ses correspondants le plus utile fut un renégat provençal, nommé Thomas d’Arcos, qui lui transmit de Tunis des monuments, des inscriptions et d’autres objets, avec des observations sur les mœurs et les usages des Barbaresques. Peiresc, d’abord mécontent de l’apostasie de son compatriote, fut bientôt réconcilié par la courtoisie de celui-ci, qui lui fit présent d’un alzaron ou bœuf de Tartarie, et de quelques caméléons. La maison de Peiresc annonçait à tous les yeux que le magistrat était éclipsé par le savant. Elle était surmontée d’un observatoire et encombrée de livres souvent entassés pêle-mêle. Il y tenait à ses gages un graveur, un sculpteur, un relieur et un copiste : de temps en temps il leur adjoignait un peintre pour retracer sur la toile différents monuments ou la figure d’animaux rares. Rubens lui-même lui donna quelques moments. Dans l’intérêt de ses livres, Peiresc nourrissait un

  1. La pluie de sang qui tomba sous le règne de Childebert et sous celui du bon Robert, suivant les récits exagérés par la frayeur ou par la simplicité de nos historiens, était, selon toute apparence, un fait du même ordre que celui-ci.