Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 32.djvu/420

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nouveaux catholiques déshérités par leurs parents, et recevoir les actes des ah jurat sons : te les étaient les fonctions de l’espèce de ministère dont Pellisson était chargé. Il paraît que, pour étendre les conquêtes de la croyance qu’il avait embrassée, il fournit les fonds à pleines mains, et reproduisit les traces de la comptabilité désordonnée de Fouquet : du moins la tradition conservée dans les bureaux des économats ne lui est pas favorable. Il n’oublia point les intérêts des lettres, et fonda un prix de poésie de la valeur de trois cents livres à décerner par l’Académie française. C’est à ses démarches auprès du roi que l’académie de Soissons dut son établissement. Il continua de suivre Louis XIV dans ses campagnes, pour recueillir par ses propres yeux les faits qu’il devait transmettre à la postérité ; mais desservi par madame de Montespan, à laquelle il avait fait perdre au conseil d’État un procès dont il était rapporteur comme maître des requêtes, il vit passer entre les mains de Boileau et de Racine son privilége d’historiographie du roi. Cependant Louis, flatté de l’idée de laisser plus d’un monument historique élevé à sa gloire, lui ordonna de continuer séparément son travail. Si le dépit ralentit d’abord le zèle de l’écrivain, l’aiguillon d’une noble concurrence dut réveiller son talent. Son ouvrage resta néanmoins imparfait ; et le public ne connut du travail de ses rivaux que d’informes linéaments ou des fragments trop faibles pour exciter des regrets. Pellisson n’avait pas besoin de ce motif pour être indisposé contre Boileau. Ce poëte, rappelant les succès galants de Fouquet, que les femmes ne pouvaient trouver beau, mais qu’elles trouvaient magnifique, avait encadré à la suite le nom de Pellisson. Il avait dit dans sa huitième satire :

Jamais surintendant ne trouva de cruelles ;
L’or même à Pellisson donne un teint de beauté ;
Mais tout devient affreux avec la pauvreté.

Pellisson se plaignit d’être représenté comme le type de la laideur. Le satirique changea son hémistiche en substituant l’or même à la laideur : l’offensé murmura encore, mais ne put obtenir une correction plus complète. Dans son ressentiment, il appuya de sa voix les auteurs trop susceptibles qui se forçaient de décrier Boileau dans l’esprit de Montausier, et redoubla d’instances auprès de ce personnage sévère pour que l’on refusât le privilége nécessaire à l’impression de l’Art poétique. Des démarches plus honorables l’occupèrent bientôt : il entra en lutte avec Leibniz sur la grande question de la tolérance religieuse, et seconda Bossuet dans la négociation entamée avec le philosophe allemand pour la réunion des Eglises dissidentes. Les hors-d’œuvre de la discussion derrière lesquels se retranchait Leibniz semblaient annoncer un dessein bien différent du résultat qu’on mettait en avant. En effet, son but était d’obtenir, à la faveur de ces rapprochements, la liberté de conscience, et tandis qu’il ne pouvait avoir en vue que d’amuser les théologiens, il comptait sur la toute-puissance de Louis XIV pour l’accomplissement de son vœu chéri : c’est ce qu’insinuent les termes de sa seconde lettre à madame Briuon (voy. éd. de Dutens, t. 5, p. 558). Pellisson mettait la dernière main à un Traité de l’Eucharistie, contre Aubertin, lorsqu’il fut emporté par une maladie précipitée, le 7 février 1693. La promptitude de sa mort l’empêcha de recourir aux sacrements ; mais il avait communié quelques jours auparavant, et, le jour même où il expira, il devait être entendu par son confesseur. La malveillance et l’esprit de secte ne manquèrent pas de répandre qu’il avait emporté dans la tombe des sentiments d’indifférence pour le culte dont il avait été un laborieux propagateur. Le chansonnier Linière, écho de ce bruit calomnieux, composa l’épigramme suivante :

Je ne jugerai de ma vie
D’un homme avant qu’il soit éteint :
Pellisson est mort en impie,
Et la Fontaine est mort en saint.

Le témoignage de ceux qui environnèrent Pellisson dans ses derniers moments vengea sa mémoire de l’accusation dont on cherchait à la flétrir, et Bossuet, dans une lettre publique à mademoiselle de Scudéri, prit soin, lui-même, de justifier ses sentiments religieux [1]. Pellisson fut extrêmement regretté : l’aménité de son commerce et ses qualités solides inspiraient l’attachement à un plus haut degré que la considération. « Il est bien laid, disait madame de Sévigné ; mais qu’on le dédouble, et l’on trouvera une belle âme. » Il n’eut rien des qualités d’un écrivain remarquable ; mais il mérita la haute estime que ses contemporains accordèrent à l’élégance de son style, estime qui n’a pu se soutenir et passer jusqu’à nous, quand les richesses de la littérature ont rendu nécessairement le goût dédaigneux. Son style, à travers sa noblesse étudiée, n’est pas exempt de négligences et de constructions embarrassées ; la continuité de ses longues périodes est fatigante et messied surtout à l’histoire, genre auquel il s’est principalement appliqué. D’ailleurs, il n’a aucune force d’imagination : c’est toujours la manière uniforme et froide d’un rhéteur qui domine dans ses pages. Sa réputation était encore respectée lorsque Voltaire lui donna une place dans le Temple du goût : les juges difficiles l’y maintiendront, au moins en considération d’un de ses ouvrages : nous voulons parler des Discours au roi en faveur de Fouquet, tribut d’amitié au-dessus de toute comparaison avec les productions juridiques de cette époque. Dans cette discussion lumineuse,

  1. Voy. sur la mort de Pellisson, et sur un passage de l’Histoire de Louis XIV, par le sieur de Riencourt, catholique, correcteur des comptes, les Grands hommes vengés, par Dessablons, t. 2.