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se dépouillant de sa robe, l’en revêtit, et le pria de la porter le jour de son couronnement. Enfin, le jour de Pâques, 8 avril 1341, Pétrarque monta au Capitole, au milieu des principaux citoyens, précédé de douze jeunes gens choisis dans les familles les plus illustres, qui déclamaient ses vers. Après une courte harangue, il reçut la couronne des mains du sénateur Orso, comte de l’Anguillara, et récita un sonnet sur les héros de l’ancienne Rome, dont il paraissait tenir la place. Conduit à l’église St-Pierre, par le même cortége, au milieu des acclamations d’une foule avide de voir une solennité si nouvelle, Pétrarque déposa sur l’autel les lauriers qui ceignaient sa tête, et reprit la route d’Avignon par terre, comme pour jouir plus lentement de sa renommée. Il emportait le titre d’aumônier ordinaire du roi de Naples, et des lettres patentes qui lui donnaient, « tant par l’autorité du roi Robert, que par celle du sénat et du peuple romain, la pleine et libre puissance de lire, de disputer, d’expliquer les anciens livres, d’en faire de nouveaux, de composer des poëmes, et de porter dans tous les actes la couronne de laurier, de lierre ou de myrte, à son choix. » Son indigne ami Azon de Corrège venait d’usurper la souveraineté de Parme, sous prétexte de l’affranchir. Il pressait Pétrarque de s’arrêter auprès de lui ; et bientôt, séduit par les agréments de ce séjour, le poète accepte les fonctions d’archidiacre de l’église de Parme, y fait bâtir une maison, et se hâte d’y terminer son poème de l’Afrique. La gloire commençait à le consoler de ses peines, lorsque l’envie, éveillée par un succès sans exemple, vint pour la première fois troubler son repos ; et dans le même temps la mort frappait l’évêque de Lombez, le meilleur de ses amis et le plus chaud de ses admirateurs. L’avènement de Clément VI à la tiare, en 1342, ranima dans l’âme de Pétrarque des espérances déjà deux fois trompées. Chargé par les Romains de porter la parole au nom des députés qu’ils envoyaient solliciter, auprès du pape, l’accomplissement des promesses de Jean XXII, le pontife l’accueillit avec distinction, le nomma prieur de Migliarino (diocèse de Pise), l’admit à son intimité, mais. n’alla point en Italie. Empressé de lui marquer sa confiance, il lui donna, presque en même temps, une mission délicate, celle de faire valoir les droits du saint-siège à la régence de Naples, pendant la minorité de Jeanne, petite-fille du roi Robert. La jeune reine s’entretint plusieurs fois avec Pétrarque, qui reçut des témoignages publics de l’estime qu’elle portait aux lettres ; mais la candeur du poète négociateur le rendait peu propre à fléchir la politique intéressée des conseillers qui dominaient cette princesse. Il s’enfuit avec horreur d’une cour barbare et corrompue, qui se délassait de ses débauches dans des spectacles de gladiateurs. Il franchit les Apennins, s’échappe de

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Parme et de l’Italie, en proie à toutes les fureurs des partis, se réfugie à Vaucluse pour quelques mois, et quitte brusquement ce séjour pour s’y retirer encore. Là il apprend que Rienzi, maître de Rome, citait des rois à son tribunal, et publiait hautement que ses concitoyens allaient ressaisir, au quatorzième siècle, leur ancienne domination sur l’univers. Toutes les illusions de Pétrarque se réveillent. Défenseur ardent du tribun, au milieu de la cour pontificale, il le félicite, il l’exhorte, et, déjà impatient de le conseiller de plus près, il court s’établir en Italie. La nouvelle du massacre des Colonne vint l’arrêter à Gènes ; il fut consterné, mais il pardonnait encore à Rienzi, pourvu que Rome fût républicaine. Le tribun succomba, et avec lui disparut ce fantôme de liberté qui avait déçu Pétrarque. Il ne s’était pas écoulé une année, et le poète pleurait sur une perte encore plus douloureuse : Laure n’était plus. La peste de 1348, celle que Boccace a décrite avec une vérité si terrible, l’avait enlevée le 6 avril de cette année, le même jour, dans le même mois et à la même heure où son amant l’avait vue pour la première fois. La dernière moitié du Canzoniere est un monument immortel des longs regrets de Pétrarque. Mais, quand ses vers ne nous auraient point appris combien sa douleur fut fidèle à son amie., la note touchante qu’il a consignée sur son exemplaire de Virgile attesterait encore le culte profane qu’il avait voué a sa mémoire (1) [1]. Appelé depuis longtemps par les instances de Louis de Gonzague, seigneur de Mantoue, il essaya de se consoler prés de lui, dans la patrie du plus sensible de tous les poètes. C’est de là qu’il écrivit à l’empereur Charles IV une lettre éloquente pour l’exhorter à rendre la paix à l’Italie. La publication du jubilé de 1350 entraînait alors vers Rome toute l’Europe chrétienne. Pétrarque s’unit à ce pieux mouvement. Il passa par Florence, où il revit Boccace, un des hommes qu’il avait distingués a la cour de Naples, et il compta un ami de plus. A Rome, il trouva le jubilé ouvert, et cette grande et consolante solennité fit sur son âme religieuse une impression profonde : ses habitudes devinrent plus graves, ses mœurs plus austères ; on put remarquer dès lors qu’à l’élévation de ses pensées il se plaisait à mêler en caractère de sévérité dont ses dernières poésies ont fidèlement conservé l’empreinte. Dans ce temps même il recevait partout des honneurs qu’aucun homme privé n’avait connus avant lui. Les principaux citoyens d’Arezzo le conduisirent avec orgueil dans la maison où il était né, en lui déclarant que rien

  1. (1) On conteste encore de nos jours l’authenticité de cette note, parce qu’on voudrait renverser toute l’histoire de Laure. M. Whyte, savant anglais, qui a découvert à Florence une Vie inedite de Petrarque écrite peu de temps après sa mort par Luigi Ferruzzi, qui l’avait connu, récuse aussi le témoignage de la même note. Mais elle est écrite d’un ton qui doit désespérer les incrédules : on ne ment point ainsi. Le Virgile de Pétrarque a été longtemps à Paris (Voy. NOVES)