Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 39.djvu/604

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trant avec une sorte de rage la trace des coups qu’il avait reçus pour une tentative d’évasion (1). Les républicains conduits par David, et gravissant la falaise et les fortifications sur un point mal gardé, avaient pénétré dans le fort. La garnison avait été surprise ; beaucoup de prisonniers enrôlés s’étaient sur-le champ joints à eux. Les cannoniers avaient été tués sur leurs pièces ; enfin toute résistance était devenue impossible. Les restes de la division d’Hervilly et celle de Sombreuil étaient cantonnés çà et la dans la presqu’île sans nulle précaution ; leur parc d’artillerie était sous le fort : il fut pris, sans que l’on eût seulement le temps de distribuer les cartouches. Puisaye, sejetant dans une barque, alla chercher un asile sur la flotte anglaise ; et ce fut dans une telle extrémité qu’il laissa le commandement a Sombreuil. La troupe de celui-ci était encore à peu près intacte ; elle pouvait peut-être faire un effort pour reprendre la forteresse ; et l’on dit que quelques officiers le demandèrent. Si son chef n’en donna pas l’ordre, ce ne fut assurément pas faute de courage personnel. Il pouvait aussi se réfugier sur les vaisseaux anglais ; mais abandonner son poste, ses compagnons d’armes.... Sombreuil était incapable d’une pareille lâcheté. Son noble dévouement fut partagé par tous les officiers de sa division (2) ; et cette troupe, fort affaiblie par la désertion, se retira en désordre devant les républicains, jusqu’à un vieux fort en ruines qui se trouvait au fond de la presqu’île. Pour l’atteindre dans ce dernier asile, il fallait que les républicains traversassent une plage où portait le canon des bâtiments anglais. Le général Hoche arrêta un moment ses soldats : on lui fit remarquer que la victoire qu’il poursuivait ne serait qu’un horrible carnage. ¢ Je ne veux pas, « dit-il d’abord. remettre en question ce qui est « décidé. n Quelques émigrés se présentèrent pour parlementer ; il ne les écouta pas et les lit arrêter. On lui rappela que parmi les ma heureux vaincus, qu’il avait réduits à l’extrémité, se trouvaient encore un grand nombre de prisonniers venus d’Angleterre. Pendant ce moment d’hésitation, quelques officiers, quelques généraux s’étaient avancés jusqu’au pied d’un petit mur ruiné, dernier retranchement des royalistes : « N’ètes-vous pas Français, criait-on à ceux-ci ? « ne vous faites point massacrer, rendez-vous, « faites cesser le feu des’Anglais ; si un des « nôtres est encore frappé, le général va faire « marcher en avant. » Les uns franchissaient la muraille et venaient se mêler aux républicains ; les autres tentaient de s’embarquer, et se jetaient a la nage pour rejoindre les barques. Deux pièces de canon, amenées par les républicains, vinrent (ll Philippe David de Dieppe. alors sergent dans l’armée royale, fut récompensé plus tard de cette action par le grade de chef de bataillon dans l armée de la république. (2) On vit un Lamoignon porter son frère blessé dans une barque et revenir euaulte auprès de sa compagnons de mort. SOM 599

encore enlever cette ressource. Néanmoins la plupart attendaient avec fermeté les ordres de leur général. N’ayant plus aucune espérance, Sombreuil résolut de se fier à la capitulation que semblait lui promettre ce cri général de l’armée française : il fit cesser le feu des bâtiments anglais. Un des officiers (M. de Guery) alla en porter l’ordre et revint partager le sort de ses compagnons, quel qu’il pût être. Sombreuil commanda ensuite à sa troupe de mettre bas les armes ; il demanda à voir le général Hoche : celui-ci descendit de cheval et vint trouver Sombreuil, qui déjà était presque seul ; il lui témoigna de grands égards ; on les vit tous les deux se promener sur le bord escarpé de la haute falaise, où est situé le fort. Sombreuil lui demanda à être la seule victime. ainsi qu’il l’avait déjà olfert aux officiers qui étaient venus parlementer, et dont les paroles lui avaient laissé quelque espoir pour ses compagnons. Hoche, dès qu’il avait vu la victoire assurée, avait envoyé avertir les représentants Tallien et Blad. « Mon affaire est faite, avait-il « dit, le reste les regarde. s lls arrivèrent ; et Sombreuil parut devant eux. « Monsieur, lui dit « Blad, j’ai été en prison avec vos parents. « Les émigrés sont-ils donc si coupables, répondit Sombreuil, d’avoir voulu éviter les prisons « et l’échafaud ? » Alors Tallien réplique : « Monsieur, nous avons tous été sous e couteau ; « mais la pensée ne nous est pas venue de porter « les armes contre la patrie. » Sombreuil rompit cette conversation et remit son sabre à Tallien. Conduit à Auray, avec ses compagnons d’infortune, il écrivit en arrivant dans cette ville, à l’amiral Warren, pour lui raconter ce qui venait de se passer, et surtout pour accuser avec toute l’acreté du désespoir, la retraite de Puisaye. « l’abandon de mes compagnons, lui dit-il, eût « été pire que le soft qui m’attend, je crois, « demain matin ; j’en méritais un meilleur, vous « en conviendrez avec tous ceux qui me connaissent.... Beaucoup diront : Que pouvait-il faire ? « d’autres répondront : il devait périr. Oui, sans « doute. et je périrai aussi.... Adieu, je vous le « dis avec le calme que donne seule la pureté de <1 conscience. L’estime de tous les braves gens « qui partagent aujourd’hui mon sort, et qui le « préfèrent à la fuite des lâches. cette estime est « pour moi l’immortalité. Je succombe à la force « des armes. qui me furent longtemps heureuses ; « et dans ce dernier moment, je trouve encore « une jouissance, s’il peut en exister dans ma « position, dans l’estime de mes compagnons d’infortune, et dans celle de l’ennemi même qui

« nous a vaincus. Adieu adieu a toute la France » Sa mort ne fut pas aussi prochaine qu’il le croyait, peut-être même conçut-il quelque espérance de sauver ses compagnons. Les généraux et les officiers lui témoignaient tout le respect dû à son malheur. Le caractère, les manières, l’extérieur même de Sombreuil, inspiraient autour