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BIOGRAPHIE UNIVERSELLE.


C


CARNE (de), on a de lui : 1° Histoire de la comtesse de Montglas, ou Consolations pour les religieuses qui le sont malgré elles, Paris, 1756, 2 vol. in-12 ; 2° l’Univers perdu et recouvré par l’amour, suivi d’Iphis et Amaranthe, ou l’Amour vengé, Amsterdam, 1758, in-8o. Z.


CARNÉADE, de Cyrène, fondateur de la troisième académie, naquit vers l’an 2l8 avant J.-C. (140e olympiade). Socrate avait introduit dans la philosophie la méthode destructive, et, par une douce moquerie et une dialectique pressante, avait combattu avec succès les philosophes dogmatiques. Au lieu de fonder une doctrine, il s’était attaché a enseigner une morale pratique noble et élevée. Ce fut dans cette voie que marcha Platon, y ajoutant de sublimes et poétiques imaginations, plutôt qu’un système complet et général. Arcésilas, chef de la seconde académie, ne prit dans l’héritage de Socrate que l’art de détruire les fondements de toute doctrine, de toute théorie. Il érigea en précepte un doute absolu, et professa qu’il n’y avait point de vérités. Carnéade, à proprement parler, ne différait guère de cette seconde académie ; en examinant ses opinions et celles d’Arcésilas, telles que nous les transmet Cicéron, on trouve que ce sont les mêmes, a bien peu de chose prés. Arcésilas disait : « Il n’y a point de vérité ; » Carnéade : « On ne peut pas la connaître. » Ce qui établit quelque diversité entre les deux philosophes, c’est plutôt le caractère personnel que la doctrine ; Arcésilas se précipitait impétueusement dans un doute universel, s’exposant au ridicule où tombent les pyrrhoniens ; Carnéade appuyait davantage sur les probabilités et les apparences de vérité qui doivent décider dans la conduite de la vie. Il permettait même au sage d’opiner en quelques rencontres, pourvu qu’il ne prononçât jamais. En tout, il paraîtrait que le doute de Carnéade était une sorte de jeu d’esprit, et qu’il avait fort bien compris que c’était un puissant moyen d’attaque ; mais rien de plus. Aussi la célébrité de Carnéade est-elle surtout fondée sur son éloquence destructive. « Elle était si forte que jamais il ne soutint rien sans le prouver, que jamais il n’attaqua rien sans le détruire de fond en comble. Il charmait tellement ses auditeurs, qu’il les amenait captifs à l’obéissance de ses sentiments, et que, par force ou par adresse, il subjuguait les personnes mêmes qui avaient pris contre lui les précautions les plus exactes. Aucun de ses adversaires ne pouvait lui résister. Lui seul triomphait. Toutes ses opinions prenaient pied, toutes celles des autres étaient rejetées. Le parti contraire fondait devant son éloquence comme la cire devant le feu. » Telle est la vive peinture que fait Bayle, d’après Cicéron et Numénius, de l’éloquence de Carnéade, se complaisant sans doute à peindre les effets d’un talent qui, comme le sien, s’employa toujours à renverser les assertions et à semer le doute. Ce fut surtout contre les stoïciens que Carnéade exerça ses redoutables attaques ; il disait lui-même que, sans Chrysippe, il n’eût pas été ce qu’il était. Il ne s’agit pas ici de la morale pratique des stoïciens et de l’esprit général du portique, mais de leurs dogmes philosophiques et physiques. Il les réduisit à l’absurde sur le chapitre de la religion, leur prouvant qu’il n’y avait pas plus de raison pour admettre un dieu qu’un autre, et ruinant ainsi le polythéisme. Il se déclara aussi contre les oracles, leur opposant la nécessité du libre arbitre de l’homme. Il combattit le sentiment des stoïciens et des péripatéticiens sur le souverain bien. Les premiers disaient que la suprême félicité consistait à se conformer à l’harmonie générale de la nature, et que tous les avantages extérieurs, richesse, fortune, etc., étaient des choses commodes, mais qui, ne pouvant donner un bonheur solide, n’étaient dignes d’aucun attachement ; les péripatéticiens et l’ancienne académie définissaient le souverain bien, la jouissance honnête des choses qui sont les premières dans l’ordre de la nature, et rangeaient les biens matériels dans une classe inférieure. Carnéade leur faisait voir que leurs controverses n’étaient qu’une dispute de mots, puisque tous deux convenaient que les avantages matériels n’étaient point dignes de nos désirs. Lui, par contradiction, et sans doute pour échapper au danger de rien affirmer de positif, se renfermait dans une définition vague, faisant consister le souverain bien à jouir des principes naturels, ce qu’on peut interpréter, exercer librement ses facultés ; ainsi il ne faisait entrer aucune notion explicite de l’honnête dans sa définition. Il remporta aussi une autre victoire sur les stoïciens, en les faisant convenir, contre leurs opinions précédentes, que la bonne renommée était digne d’être recher-