Page:Michelet - Œuvres complètes Vico.djvu/485

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esclaves ? Voilà le héros qu’Homère qualifie toujours du nom d’irréprochable (amumôn) et qu’il semble proposer aux Grecs pour modèle de la vertu héroïque ! Si l’on veut qu’Homère instruise autant qu’il intéresse, ce qui est le devoir du poète, on ne doit entendre par ce héros irréprochable que le plus orgueilleux, le plus irritable de tous les hommes ; la vertu célébrée en lui, c’est la susceptibilité, la délicatesse du point d’honneur dans laquelle les duellistes faisaient consister toute leur morale, lorsque la barbarie antique reparut au moyen âge et que les romanciers exaltent dans leurs chevaliers errants.

Quant à l’histoire romaine, on appréciera les héros qu’elle vante, si l’on réfléchit à l’éternelle inimitié que, selon Aristote, les nobles ou héros juraient aux plébéiens. Qu’on parcoure l’âge de la vertu romaine, que Tite-Live fixe au temps de la guerre contre Pyrrhus (nulla ætas virtutum feracior) et que, d’après Salluste (saint Augustin, Cité de Dieu), nous étendons depuis l’expulsion des rois jusqu’à la seconde guerre punique. Ce Brutus qui immole à la liberté ses deux fils, espoir de sa famille ; ce Scévola qui effraye Porsenna et détermine sa retraite en brûlant la main qui n’a pu l’assassiner ; ce Manlius qui punit de mort la faute glorieuse d’un fils vainqueur ; ces Décius qui se dévouent pour sauver leurs armées ; ce Fabricius, ces Curius qui repoussent l’or des Samnites et les offres magnifiques du roi d’Épire ; ce Régulus enfin qui, par respect pour la sainteté du serment, va chercher à Carthage la mort la plus cruelle ; que firent-ils pour l’avantage des infortunés plébéiens ? Tout l’héroïsme des maîtres du peuple ne servait qu’à l’épuiser par des guerres interminables.