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LA GAULE SOUS L’EMPIRE. DÉCADENCE DE L’EMPIRE.

par mottes de terre, on comptait les arbres, les pieds de vigne. On inscrivait les bêtes, on enregistrait les hommes. On n’entendait que les fouets, les cris de la torture ; l’esclave fidèle était torturé contre son maître, la femme contre son mari, le fils contre son père ; et, faute de témoignage, on les torturait pour déposer contre eux-mêmes ; et quand ils cédaient, vaincus par la douleur, on écrivait ce qu’ils n’avaient pas dit. Point d’excuse pour la vieillesse ou la maladie ; on apportait les malades, les infirmes. On estimait l’âge de chacun, on ajoutait des années aux enfants, on en ôtait aux vieillards ; tout était plein de deuil et de consternation. Encore ne s’en rapportait-on pas à ces premiers agents ; on en envoyait toujours d’autres pour trouver davantage, et les charges doublaient toujours, ceux-ci ne trouvant rien, mais ajoutant au hasard, pour ne pas paraître inutiles. Cependant les animaux diminuaient, les hommes mouraient, et l’on n’en payait pas moins l’impôt pour les morts[1]. »

Sur qui retombaient tant d’insultes et de vexations endurées par les hommes libres ? Sur les esclaves, sur les colons ou cultivateurs dépendants, dont l’état devenait chaque jour plus voisin de l’esclavage. C’est à eux que les propriétaires rendaient tous les outrages,

  1. Lactant. de M. persecut, c. vii, 23. « Adeò major esse cœperat numerus accipientium quam dantium… Filii adversus parentes suspendebantur… » — Une sorte de guerre s’établit entre le fisc et la population, entre la torture et l’obstination du silence. « Erubescit apud eos, si quis non inficiando tributa in corpore vibices Ostendat. » Ammian. Marc., in Comment. Cod. Theod., lib. XI, tit. 7, leg 3a.