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PRÉFACE DE 1869.

lui. Nos maîtres en histoire ne se sont pas soustraits à cette loi. Tacite, en son Tibère, se peint aussi avec l’étouffement de son temps, « les quinze longues années » de silence. Thierry, en nous contant Klodowig, Guillaume et sa conquête, a le souffle intérieur, l’émotion de la France envahie récemment, et son opposition au règne qui semblait celui de l’étranger.

Si c’est là un défaut, il nous faut avouer qu’il nous rend bien service. L’historien qui en est dépourvu, qui entreprend de s’effacer en écrivant, de ne pas être, de suivre par derrière la chronique contemporaine (comme Barante a fait pour Froissart), n’est point du tout historien. Le vieux chroniqueur, très-charmant, est absolument incapable de dire à son pauvre valet qui va sur ses talons, ce que c’est que le grand, le sombre, le terrible quatorzième siècle. Pour le savoir, il faut toutes nos forces d’analyse et d’érudition, il faut un grand engin qui perce les mystères, inaccessibles à ce conteur. Quel engin, quel moyen ? La personnalité moderne, si puissante et tant agrandie.

En pénétrant l’objet de plus en plus, on l’aime, et dès lors on regarde avec un intérêt croissant. Le cœur ému à la seconde vue, voit mille choses invisibles au peuple indifférent. L’histoire, l’historien, se mêlent en ce regard. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Là s’opère