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HISTOIRE DE FRANCE.

miracle. Tout son charme est l’humanité. Il n’a pas d’ailes, ce pauvre ange ; il est peuple, il est faible, il est nous, il est tout le monde.

Dans les galeries solitaires des Archives où j’errai vingt années, dans ce profond silence, des murmures cependant venaient à mon oreille. Les souffrances lointaines de tant d’âmes étouffées dans ces vieux âges se plaignaient à voix basse. L’austère réalité réclamait contre l’art, et lui disait parfois des choses amères : « À quoi t’amuses-tu ? Es-tu un Walter Scott pour conter longuement le détail pittoresque, les grasses tables de Philippe le Bon, le vain vœu du Faisan ? Sais-tu que nos martyrs depuis quatre cents ans t’attendent ? Sais-tu que les vaillants de Courtray, de Rosebecque, n’ont pas le monument que leur devait l’histoire ? Les chroniqueurs gagés, le chapelain Froissart, le bavard Monstrelet ne leur suffisent pas. C’est dans la ferme foi, l’espoir en la justice qu’ils ont donné leur vie. Ils auraient droit de dire : « Histoire ! compte avec nous. Tes créanciers te somment ! Nous avons accepté la mort pour une ligne de toi. »

Que leur devais-je ? raconter leurs combats, me placer dans leurs rangs, me mettre de moitié aux victoires, aux défaites ? Ce n’était pas assez. Pendant les dix