Page:Michelet - La femme.djvu/42

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procurant des leçons. J’exprimai l’étonnement que me donnait leur imprudence. Alors, elle me dit tout. On l’envoyait dans ce péril pour en éviter un autre. Elle avait dans son pays un amant plein de mérite, et qui voulait l’épouser ; c’était le plus honnête homme, c’était un homme de talent. Mais, hélas ! il était pauvre. « Mes parents l’aiment, l’estiment, dit-elle, mais craignent que nous ne mourions de faim. »

Je lui dis sans hésiter : « Il vaut mieux mourir de faim que de courir le cachet sur le pavé de Paris. Je vous engage, mademoiselle, à retourner, non pas demain, mais aujourd’hui, chez vos parents. Chaque heure que vous restez ici, vous fera perdre cent pour cent. Seule, inexpérimentée, que deviendrez-vous ? »

Elle suivit mon conseil. Ses parents consentirent. Elle épousa. Sa vie fut très-difficile, pleine des plus dures épreuves, exemplaire et honorable. Partagée péniblement entre le soin de ses enfants et l’aide très-intelligente qu’elle donnait aux travaux de son mari, je la vois encore l’hiver courant aux bibliothèques où elle faisait des recherches pour lui. Avec toutes ces misères, et la douleur qu’on avait de ne pouvoir secourir leur fière pauvreté, jamais je n’ai regretté le conseil que je lui donnai. Elle jouit beaucoup par le cœur, ne souffrit que de la