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L’ARMADA 31

lui porter malheur : c’est que ceux qui la montaient étaient des ennemis de l’Espagne, qu’elle traînait, ou des peuples amortis par elle, tombes au-dessous d’eux-mêmes. Ces nations qui, séparément, avaient fait tant de grandes choses, ces individus qui, pris à part, étaient encore héroïques, mis ensemble se trou- vaient faibles.

La grande puissance nouvelle, la pesante, l’inintel- ligente royauté des commis, le terrible bureaucrate de TEscurial, cul-de-jatte qui gouvernait la guerre, c’était comme une masse de plomb qui pendait à l’Armada et l’empêchait de marcher, qui d’avance rompait les reins, cassait les ailes à la victoire.

Un homme qui vivait immuable dans ce palais de granit, dans un cabinet de dix pieds carrés, n’avait aucune notion du lieu ni du temps. A dix-sept ans de distance, dans une guerre sur l’Océan, il copia ser- vilement ce qui avait réussi à Lépante en 1571 sur la Méditerranée. Et il ne sut pas mieux faire la diffé- rence des hommes, croyant encore avoir affaire à la pesanteur des Turcs, ne tenant compte de l’audace des Anglais et Hollandais, dont les rapides corsaires, avant qu’il eût eu le temps de remuer, lui enle- vaient ses navires jusque dans la mer du Pacifique. A Lépante, les hauts vaisseaux, les châteaux flottants de Gastille, avaient canonné à leur aise des Turcs qui ne bougeaient pas. Philippe refit ces gros vaisseaux, gigantesques galions, lourdes et massives galéaces, supposant que l’Anglais aurait la bonté de se tenir immobile et d’attendre en repos les coups. Seule-