Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
ONZIÈME SIÈCLE

lui à l’autel ; celle de l’évêque dispute le pas à l’épouse du comte.

C’était fait du christianisme[1], si l’Église se matérialisait dans l’hérédité féodale. Le sel de la terre s’évanouissait, et tout était dit. Dès lors plus de force intérieure, ni d’élan au ciel. Jamais une telle Église n’aurait soulevé la voûte du chœur de Cologne, ni la flèche de Strasbourg ; elle n’aurait enfanté ni l’âme de saint Bernard, ni le pénétrant génie de saint Thomas : à de tels hommes, il faut le recueillement solitaire. Dès lors, point de croisade. Pour avoir droit d’attaquer l’Asie, il faut que l’Europe dompte la sensualité asiatique, qu’elle devienne plus Europe, plus pure, plus chrétienne.

L’Église en péril se contracta pour vivre encore. La vie se concentra au cœur. Le monde, depuis la tempête de l’invasion barbare, s’était réfugié dans l’Église et l’avait souillée ; l’Église se réfugia dans les moines, c’est-à-dire dans sa partie la plus sévère et la plus mystique ; disons encore, la plus démocratique alors ; cette vie d’abstinences était moins recherchée des nobles. Les cloîtres se peuplaient de fils de serfs[2]. En face de cette Église splendide et orgueilleuse, qui se parait d’un faste aristocratique, se dressa l’autre, pauvre, sombre, solitaire, l’Église des souffrances contre celle des jouis-

    comme d’une injustice de ce qu’on refusait l’ordination à leurs enfants. Ils donnaient même leurs bénéfices en dot à leurs filles (au neuvième siècle). Leurs femmes prenaient publiquement la qualité de prêtresses.

  1. Quand je parle du christianisme, j’entends toujours l’humanité pendant les âges chrétiens. Elle les a traversés et dépassés. (1860.)
  2. App. 53.