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HISTOIRE DE FRANCE

ni à l’homme ni à la terre. Isolés et sans trace, ils passent comme la poussière vole au désert ; égaux comme les grains de sable, sous l’œil d’un Dieu niveleur, qui ne veut nulle hiérarchie.

Point de Christ, point de médiateur, de Dieu-homme. Cette échelle que le christianisme nous avait jetée d’en haut, et qui montait vers Dieu par les Saints, la Vierge, les Anges et Jésus, Mahomet la supprime ; toute hiérarchie périt, la divine et l’humaine. Dieu recule dans le ciel à une profondeur infinie, ou bien pèse sur la terre, s’y applique et l’écrase. Misérables atomes, égaux dans le néant, nous gisons sur la plaine aride. Cette religion, c’est vraiment l’Arabie elle-même. Le ciel, la terre, rien entre ; point de montagne qui nous rapproche du ciel, point de douce vapeur qui nous trompe sur la distance ; un dôme impitoyablement tendu d’un sombre azur, comme un brûlant casque d’acier.

L’islamisme, né pour s’étendre, ne demeurera pas dans ce sublime et stérile isolement. Il faut qu’il coure le monde, au risque de changer. Ce Dieu que Mahomet a volé à Moïse, il pouvait rester abstrait, pur et terrible sur la montagne juive ou dans le désert arabique ; mais voilà que les cavaliers du Prophète le promènent victorieusement de Bagdad à Cordoue, de Damas à Surate. Dès que la rotation du sabre, la ventilation du cimeterre, n’allumera plus son ardeur farouche, il va s’humaniser. Je crains pour son austérité les paradis du harem, et ses roses solitaires et les fontaines jaillissantes de l’Alhambra. La chair maudite par cette