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INNOCENT III

ment, d’arrêter le temps au passage, de fixer la terre qui tournait sous elle et qui l’emportait. Innocent III parut y réussir ; Boniface VIII périt dans l’effort.

Moment solennel, et d’une tristesse infinie. L’espoir de la croisade avait manqué au monde. L’autorité ne semblait plus inattaquable ; elle avait promis, elle avait trompé. La liberté commençait à poindre, mais sous vingt aspects fantastiques et choquants, confuse et convulsive, multiforme, difforme. La volonté humaine enfantait chaque jour, et reculait devant ses enfants. C’était comme dans les jours séculaires de la grande semaine de la création : la nature, s’essayant, jeta d’abord des produits bizarres, gigantesques, éphémères, monstrueux avortons dont les restes inspirent l’horreur.

Une chose perçait dans cette mystérieuse anarchie du douzième siècle, qui se produisait sous la main de l’Église irritée et tremblante : c’était un sentiment prodigieusement audacieux de la puissance morale et de la grandeur de l’homme. Ce mot hardi des Pélagiens : Christ n’a rien eu de plus que moi, je puis me diviniser par la vertu, il est reproduit au douzième siècle sous forme barbare et mystique. L’homme déclare que la fin est venue, qu’en lui-même est cette fin ; il croit à soi, et se sent Dieu ; partout surgissent des messies. Et ce n’est pas seulement dans l’enceinte du christianisme, mais dans le mahométisme même, ennemi de l’incarnation, l’homme se divinise et s’adore. Déjà les Fatemites d’Égypte en ont donné l’exemple. Le chef des Assassins déclare aussi qu’il est l’iman si long-