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INNOCENT III

ville, le duc de Bourgogne l’abandonna avec ce qui restait de Français. Dès lors tout était perdu ; un chevalier lui montrant de loin la ville sainte, il se mit à pleurer, et ramena sa cotte d’armes devant ses yeux, disant : « Seigneur, ne permettez pas que je voie votre ville, puisque je n’ai pas su la délivrer[1]. » Cette croisade fut effectivement la dernière. L’Asie et l’Europe s’étaient approchées et s’étaient trouvées invincibles. Désormais, c’est vers d’autres contrées, vers l’Égypte, vers Constantinople, partout ailleurs qu’à la terre sainte, que se dirigeront, sous des prétextes plus ou moins spécieux, les grandes expéditions des chrétiens. L’enthousiasme religieux a d’ailleurs considérablement diminué ; les miracles, les révélations qui ont signalé la première croisade, disparaissent à la troisième. C’est une grande expédition militaire, une lutte de races autant que de religion ; ce long siège est pour le moyen âge comme un siège de Troie. La plaine d’Acre est devenue à la longue une patrie commune pour les deux partis. On s’est mesuré, on s’est vu tous les jours, on s’est connu, les haines se sont effacées. Le camp des chrétiens est devenu une grande ville fréquentée par les marchands des deux religions[2]. Ils se voient volontiers, ils dansent

  1. Joinville : « Tandis qu’ils estoyent en ces paroles, un sien chevalier lui escria : « Sire, Sire, venez juesques ici, et je vous monstrerai Jérusalem. » Et quant il oy ce, il geta sa cote à armer devant ses yex tout en plorant, et dit à Nostre-Seigneur : « Biau Sire Diex, je te pri que tu ne seuffres que je voie ta sainte cité, puisque je ne la puis délivrer des mains de tes ennemis. »
  2. Par exemple le camp de Ptolémaïs, en 1191.