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LOUIS IX

Comment expliquer cette décadence précipitée d’Innocent III à Boniface VIII, une telle chute après une telle victoire ? D’abord, c’est que la victoire a été plus apparente que réelle. Le fer est impuissant contre la pensée ; c’est plutôt sa nature, à cette plante vivace, de croître sous le fer, de germer et fleurir sous l’acier. Combien plus, si le glaive se trouve dans la main qui devait le moins user du glaive, si c’est la main pacifique, la main du prêtre ; si l’agneau mord et déchire, si le père assassine !… L’Église perdant ainsi son caractère de sainteté, ce caractère va tout à l’heure passer à un laïque, à un roi, au roi de France. Les peuples vont transporter leur respect au sacerdoce laïque, à la royauté. Le pieux Louis IX porte ainsi, à son insu, un coup terrible à l’Église.

Les remèdes mêmes sont devenus des maux. Le pape n’a vaincu le mysticisme indépendant qu’en ouvrant lui-même de grandes écoles de mysticisme, je parle des ordres mendiants. C’est combattre le mal par le mal même ; c’est entreprendre la chose difficile et contradictoire entre toutes, vouloir régler l’inspiration, déterminer l’illumination, constituer le délire ! On ne joue pas ainsi avec la liberté, c’est une lame à deux tranchants, qui blesse celui qui croit la tenir et veut s’en faire un instrument.

Les ordres de saint Dominique et de saint François, sur lesquels le pape essaya de soutenir l’Église en ruine, eurent une mission commune, la prédication. Le premier âge des monastères, l’âge du travail et de la culture, où les bénédictins avaient défriché la terre