Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 2.djvu/571

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
561
APPENDICE

or, il avait avec lui un bouffon, qui, comme font les bateleurs de cette espèce, se moquait des gens par des grimaces d’histrion. Lorsque le célébrant se tourna vers le peuple en disant : Dominus vobiscum, le scélérat de comte dit à son bouffon de contrefaire le prêtre. — Il dit une fois qu’il aimerait mieux ressembler à un certain hérétique de Castres, dans le diocèse d’Albi, à qui on avait coupé les membres et qui traînait une vie misérable, que d’être roi ou empereur.

« Combien il aima toujours les hérétiques, nous en avons la preuve évidente en ce que jamais aucun légat du siège apostolique ne put l’amener à les chasser de sa terre, bien qu’il ait fait, sur les instances de ces légats, je ne sais combien d’abjurations.

« Il faisait si peu de cas du sacrement de mariage, que toutes les fois que sa femme lui déplut, il la renvoya pour en prendre une autre ; en sorte qu’il eut quatre épouses, dont trois vivent encore. Il eut d’abord la sœur du vicomte de Béziers, nommée Béatrix ; après elle, la fille du duc de Chypre ; après elle, la sœur de Richard, roi d’Angleterre, sa cousine au troisième degré ; celle-ci étant morte, il épousa la sœur du roi d’Aragon, qui était sa cousine au quatrième degré. Je ne dois pas passer sous silence que lorsqu’il avait sa première femme, il l’engagea souvent à prendre l’habit religieux. Comprenant ce qu’il voulait dire, elle lui demanda exprès s’il voulait qu’elle entrât à Cîteaux ; il dit que non. Elle lui demanda encore s’il voulait qu’elle se fît religieuse à Fontevrault ; il dit encore que non. Alors elle lui demanda ce qu’il voulait donc : il répondit que si elle consentait à se faire solitaire, il pourvoirait à tous ses besoins ; et la chose se fit ainsi…

« Il fut toujours si luxurieux et si lubrique, qu’il abusait de sa propre sœur au mépris de la religion chrétienne. Dès son enfance, il recherchait ardemment les concubines de son père et couchait avec elles ; et aucune femme ne lui plaisait guère s’il ne savait qu’elle eût couché avec son père. Aussi son père, tant à cause de son hérésie que pour ce crime énorme, lui prédisait souvent la perte de son héritage. Le comte avait encore une merveilleuse affection pour les routiers, par les mains desquels il dépouillait les églises, détruisait les monastères, et dépossédait tant qu’il pouvait tous ses voisins. C’est ainsi que se comporta toujours ce membre du diable, ce fils de perdition, ce premier-né de Satan, ce persécuteur acharné de la croix et de l’Église, cet appui des hérétiques, ce bourreau des catholiques, ce ministre de perdition, cet apostat couvert de crimes, cet égout de tous les péchés.

« Le comte jouait un jour aux échecs avec un certain chapelain,