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HISTOIRE DE FRANCE

débonnaire mari, sur M. le curé et sa servante. Le génie narratif qui domine en Champagne, en Flandre, s’étendit en longs poèmes, en belles histoires. La liste de nos poètes romanciers s’ouvre par Chrétien de Troyes et Guyot de Provins. Les grands seigneurs du pays écrivent eux-mêmes leurs gestes : Villehardouin, Joinville et le cardinal de Retz nous ont conté eux-mêmes les croisades et la Fronde. L’histoire et la satire sont la vocation de la Champagne. Pendant que le comte Thibault faisait peindre ses poésies sur les murailles de son palais de Provins, au milieu des roses orientales, les épiciers de Troyes griffonnaient sur leurs comptoirs les histoires allégoriques et satiriques de Renard et Isengrin. Le plus piquant pamphlet de la langue est dû en grande partie à des procureurs de Troyes[1] : c’est la Satyre Ménippée.

Ici, dans cette naïve et maligne Champagne, se termine la longue ligne que nous avons suivie, du Languedoc et de la Provence par Lyon et la Bourgogne. Dans cette zone vineuse et littéraire, l’esprit de l’homme a toujours gagné en netteté, en sobriété. Nous y avons distingué trois degrés : la fougue et l’ivresse spirituelle du Midi, l’éloquence et la rhétorique bourguignonne[2] ; la grâce et l’ironie champenoise. C’est le dernier fruit de la France et le plus délicat. Sur ces plaines blanches, sur ces maigres coteaux, mûrit le vin léger du

  1. Passerat et Pithou. App. 36.
  2. Sur la montagne de Langres, naquit Diderot. C’est la transition entre la Bourgogne et la Champagne. Il réunit les deux caractères.