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VÊPRES SICILIENNES

pouvez m’en croire, qu’on les entendait de la Calabre[1]. »

Charles d’Anjou vit du rivage le désastre de sa flotte. Il vit incendier sans pouvoir les défendre ces vaisseaux, construits naguère pour la conquête de Constantinople. On dit qu’il mordait de rage le sceptre qu’il tenait à la main, et qu’il répétait le mot qu’il avait déjà dit en apprenant le massacre : « Ah, sire Dieu, moult m’avez offert à surmonter ! Puisqu’il vous plaît de me faire fortune mauvaise, qu’il vous plaise aussi que la descente se fasse à petits pas et doucement[2]. »

Mais l’orgueil l’emporta bientôt sur cette résignation. Charles d’Anjou, déjà vieux et pesant, proposa au jeune roi d’Aragon de décider leur querelle par un combat singulier, auquel auraient pris part cent chevaliers des deux royaumes. L’Aragonais accepta une proposition si favorable au plus faible, et qui lui donnait du temps[3]. Les deux rois s’engagèrent à se trouver à Bordeaux le 15 mai 1283, et à combattre dans cette ville, sous la protection du roi d’Angleterre. À l’époque indiquée, D. Pedro bien monté, voyageant de nuit, et guidé par un marchand de chevaux qui connaissait toutes les routes, tous les pors des Pyrénées, se rendit, lui troisième, à Bordeaux. Il y arriva le jour même de la bataille, protesta devant un notaire que le roi de France étant près de Bordeaux avec ses troupes, il n’y

  1. Muntaner.
  2. « … Piacciati, che’l mio calare sia a petit passi. » (Villani.)
  3. App. 8.