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LE DUC D’ORLÉANS, LE DUC DE BOURGOGNE

et déjà passé ! Beauté, grâce chevaleresque, lumière de science, parole vive et douce ; hier tout cela, aujourd’hui plus rien[1]

Rien ?… davantage peut-être. Celui qui semblait hier un simple individu, on voit qu’il avait en lui plus d’une existence, que c’était en effet un être multiple, infiniment varié[2] !… Admirable vertu de la mort ! Seule elle révèle la vie. L’homme vivant n’est vu de chacun que par un côté, selon qu’il le sert ou le gêne. Meurt-il ? on le voit alors sous mille aspects nouveaux, on distingue tous les liens divers par lesquels il tenait au monde. Ainsi, quand vous arrachez le lierre du chêne qui le soutenait, vous apercevez dessous d’innombrables fils vivaces, que jamais vous ne pourrez déprendre de l’écorce où ils ont vécu ; ils resteront brisés, mais ils resteront[3].

Chaque homme est une humanité, une histoire universelle… Et pourtant cet être, en qui tenait une généralité infinie, c’était en même temps un individu spécial, une personne, un être unique, irréparable, que rien ne remplacera. Rien de tel avant, rien après ; Dieu ne recommencera point. Il en viendra d’autres, sans doute ; le monde, qui ne se lasse pas, amènera à la vie d’autres personnes, meilleures peut-être, mais semblables, jamais, jamais…

  1. App. 89.
  2. Henri III s’écria en voyant le corps du duc de Guise : « Mon Dieu, qu’il est grand ! Il paroît encore plus grand mort que vivant. » Il disait mieux qu’il ne croyait ; cela est vrai dans un bien autre sens.
  3. Je faisais l’autre jour cette observation dans la forêt de Saint-Germain (12 septembre 1839).