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LUTTE DES DEUX PARTIS. — CABOCHIENS

plus traître meurtre n’a été commis en ce royaume. » Le vendredi, au convoi, il tenait un des coins du drap mortuaire et pleurait comme les autres.

Plus que tous les autres sans doute, et non moins sincèrement. Il n’y avait pas là d’hypocrisie. La nature humaine est ainsi faite. Nul doute que le meurtrier n’eût voulu alors ressusciter le mort au prix de sa vie. Mais cela n’était pas en lui. Il fallait qu’il traînât à jamais ce fardeau, qu’à jamais il portât ce pesant drap mortuaire.

Lorsqu’il fut constant que les assassins avaient fui vers la rue Mauconseil, où était l’hôtel du duc de Bourgogne, lorsque le prévôt de Paris déclara qu’il se faisait fort de trouver les coupables, si on lui permettait de fouiller les hôtels des princes, le duc de Bourgogne se troubla ; il tira à part le duc de Berri et le roi de Sicile, et leur dit tout pâle : « C’est moi ; le diable m’a tenté[1]. » Ils reculèrent ; le duc de Berri fondit en larmes, et ne dit qu’une parole : « J’ai perdu mes deux neveux. »

Le duc de Bourgogne s’en alla accablé, humilié, et l’humiliation le changea. L’orgueil tua le remords. Il se souvint qu’il était puissant, qu’il n’y avait pas de juge pour lui. Il s’endurcit, et puisque enfin le coup était fait, le mal irréparable, il résolut de revendiquer son crime comme vertu, d’en faire, s’il pouvait, un acte héroïque. Il osa venir au conseil. Il en trouva la porte fermée ; le duc de Berri l’y retint, en lui disant

  1. App. 98.